« Apartheid ? », les Souvenirs obscurs de J.Y Le Drian au service de l’Axe euro-Arabe

La suspicion stigmatisante de Jean-Yves Le Drian, déclarant qu’Israël serait menacé par un « risque d’Apartheid », à l’issue du dernier conflit avec Gaza, ne sort pas de nulle part. Rappelons que le Hamas a tiré prétexte des conflits juridiques de propriété à Shimon Hatzadik/Sheikh Jarrah, arbitrés par un tribunal souverain, justement appelé « Cour Suprême »,  puis des émeutes dans la capitale israélienne et plusieurs villes mixtes (Lod, Akko, Ramleh, Bat Yam…) qui ont trouvé en ce litige un terreau fertile.

 

On doit d’abord revenir sur le moment de consécration de ce poncif « d’Apartheid », lors de la fameuse conférence de Durban en 2001[1], qui signe la naissance du mouvement Boycott Désinvestissement, Sanctions et la radicalisation de l’antisionisme déchaîné en antisémitisme. Ce baptême, dans les clameurs antijuives (Etat « raciste », « génocidaire », commettant des « crimes de guerre »…) suffit amplement à décrédibiliser et condamner les propos déplacés du Ministre français des Affaires étrangères, même s’il s’était agi d’une sincère « mise en garde », et non d’une accusation déguisée. Sa parole ministérielle, en effet, ainsi que la position de la France dans le concert diplomatique des Nations, se portent caution pour toutes les dérives de ces mouvements racialistes nauséabonds, -dont le mariage de circonstance entre BDS et Black Lives Matter, soutenu par la « Squad[2] » au Congrès américain-, qui structurent le nouvel antisémitisme. Il n‘est peut-être pas si nouveau que cela, du reste, quand on pense à la longue tradition antisémite de gauche, parallèle ou concurrentielle à celle de l’extrême droite-.

S’il faut se garder d’assimiler personnellement l’actuel occupant du Quai d’Orsay à de telles tendances au dénigrement systématique de l’Etat Juif, il importe d’observer à qui l’ancien Maire de Lorient, JY Le Drian confie sa délégation de responsabilité et vers quels espaces d’échanges diplomatiques et commerciaux, pour sceller quelles alliances.

En suivant l’itinéraire politique de Jean-Yves Le Drian, transparaissent des associations à buts commerciaux et géopolitiques, pour le moins sulfureuses.

Le Drian a présidé, à partir 1978, une association franco-arabe, dont il délègue l’animation à un homme très marqué par le combat propalestinien -pour ne pas dire pire -, Gilles Munier :  l’Association pour les échanges Bretagne-pays arabes (APEBA), émanation régionale de l’ASFA (Association de Solidarité Franco-Arabe), qui se transforme en Bretagne-Coopération Internationale (BCI), à l’appellation moins criante de parti-pris. Le Drian est alors maire socialiste de Lorient.

Or, Gilles Munier n’est pas n’importe quel militant, car il fait carrière dans l’antisionisme institutionnel, comme au sein d’une grande internationale baathiste-propalestinienne, qui puise ses racines dans les dictatures autocratiques de Bagdad, Damas en passant par les camps d’entraînement des gangs terroristes d’Arafat.

Durant la période dont nous parlons, ces cellules palestiniennes sont spécialistes des attentats comme ceux des Jeux Olympiques de Munich contre les athlètes israéliens, en 1972, et du détournement d’avions. Ces actions criminelles, en violation de tout droit international, seront, en grande partie, dissuadées, à partir de l’Opération Entebbe (Thunderbolt) des commandos Sayeret Matkal israéliens sur l’aéroport africain, le 4 juillet 1976.

Munier, l’homme de confiance de Le Drian au pays des fées (Brocéliande), milite, depuis son retour d’Algérie en France, en 1971, au sein de l’Association de solidarité franco-arabe (ASFA), pour la libération de la Palestine et en faveur du renforcement des liens de la France avec des régimes arabes, en particulier ceux d’Algérie, d’Irak et de Syrie. Ce sont, sur l’échiquier moyen-oriental, les contrées les plus farouchement antisionistes, au sens de l’organisation d’une guerre totale (qui éclate par surprise deux ans plus tard pour les célébrations de Yom Kippour 73). Camp que, progressivement, d’autres états comme l’Egypte d’abord, choisissent de quitter, à partir de 1977.

C’est au sein des familles de ces pays à poigne de fer de l’axe euro-arabe, dont l’Algérie, que les enfants « tètent l’antisémitisme au sein de leurs mères », pour paraphraser Georges Bensoussan. On se souvient que l’auteur des « Juifs du monde arabe. La question Interdite »[3] avait naguère été poursuivi, à cause de cette petite phrase, par un certain CCIF, lui-même dissout pour « Séparatisme », à la suite de la décapitation de l’enseignant Samuel Paty, le 16 octobre 2020.

Durant cette phase guerrière autant que marquée par le terrorisme, le lobbyiste euro-arabe Munier fonde en 1973 l’Association Roger Coudroy, pour honorer la mémoire du militant de Jeune Europe, (extrême-droite antisémite) mort au combat dans les rangs du Fatah, dont il commandait une escouade.

Ses buts officiels sont constitués par « la lutte contre l’influence sioniste », mais il s’agit en réalité d’assurer le soutien logistique de certains réseaux extrémistes et minoritaires palestiniens [Patrice Chairoff, Dossier Néo-Nazisme, Paris, Ramsay, 1977, P.228 ]. »

Ceci nous fait dire que cette personnalité est, à l’origine, tout sauf « un homme de gauche humaniste ». Quand le jeune Mitterrand est Ministre de l’Intérieur, pendant la guerre d’Algérie, il chasse le père de Munier, déjà activiste pour l’Algérie Française, qui n’y revient qu’après le départ des Français, en 1962. En termes de parcours, tout semble les opposer Et pourtant…

Lorsqu’il était étudiant à Alger, en 1968 et 1969, Munier était le correspondant de la revue La Nation Européenne (disparue en 1969). Cette revue était une publication de haut niveau, diffusée par le même mouvement paneuropéen Jeune Europe, hostile aux Etats-Nations, et porteur du fameux logotype de la « croix celtique ». On se retrouve en une « certaine » Bretagne, comme en un point de culture central (ou extrême ?) pour le Continent.

Quels sont les combats spécifiques que mène le bras droit associatif de Le Drian avec Jeune Europe, avant d’élire domicile en Bretagne ? Il a publié, dans La Nation Européenne, quatre articles de soutien à la lutte des peuples palestinien et vietnamien et à celle des Noirs américains, dont une interview du représentant des Black Panther Stokely Carmichael, mari de Miriam Makeba, qui a forgé le slogan de Black Power.

Dans l’un de ces articles Munier écrit : « Depuis 20 ans, les « six millions de morts » [de la Shoah, NDLR] servent d’alibi pour commettre en Israël les pires atrocités. ».

Le cadre rhétorique est posé, mais l’acteur de ce mouvement, d’abord anti-communiste primaire, retourne cette lutte pour en faire celle de l’anti-américano-sionisme, d’une façon, finalement, singulièrement convergente avec les  luttes de l’extrême-gauche.

On retrouve ensuite la trace de mouvements plus récents, à connotation également marxiste, à travers le racialisme (ou contre-racisme) propre aux Black Panthers, qui inversent le discours raciste pour le retourner contre la majorité blanche. L’extinction de ce mouvement, sous l’impulsion du FBI, ne le verra renaître de ses cendres, qu’en 2013, sous la forme de Black Lives Matter[4], qui partage les slogans transmis par BDS, et par le « lapsus » sortant de la bouche « durbanisée » de notre actuel Ministre des Affaires extérieures.

La même année qu’il rend hommage au premier « Shahid » européen de la cause du Fatah d’Arafat (R. Coudroy), Munier devient donc permanent de l’Association de solidarité franco-arabe (ASFA), fondée par les gaullistes de gauche Louis Terrenoire et Lucien Bitterlin.

Celle-ci existe depuis 1967, face au constat d’échec militaire de cinq armées arabes contre le jeune Etat sioniste, qui n’a pas encore 20 ans. On dit que l’économie est la continuation de la guerre par d’autres moyens[5] et c’est bien dans ces années-là (en 1972, plus précisément) que se structure, à Damas, la notion de boycott de l’Etat Juif. Le tournant de Durban, en 2001, n’est, ensuite, qu’un remake de cette aspiration frustrée, d’abord organisée autour des principaux pays baathistes, mais généralisée dans tous les pays arabo-musulmans, ou presque…

C’est cette fameuse association, ASFA, que décrit l’auteure Bat Ye Or, p.77 d’Eurabia, l’Axe euro-arabe. Elle était présidée par Louis Terrenoire, ministre gaulliste, ses adhérents comptaient Maurice Couve de Murville, ancien fonctionnaire de Vichy et Georges Montaron.

Voyons ce que l’on peut lire sur la dernière page du numéro 4 de la revue Eurabia, dirigée par Lucien Bitterlin et sise 18 rue Angereau, Paris VIIème :

« Un colloque euro-arabe s’est réuni les 20, 21, 22 septembre 1977 -soit moins d’un an avant la création de son antenne bretonne sous l’égide de Le Drian – avec les représentants de 12 pays européens (9 seulement font déjà partie de l’U.E).

L’Axe affiche sa volonté commune d’intégrer l’Europe dans le processus de négociation pour un règlement « équitable et durable » de la crise permanente au Proche-Orient.

La reconnaissance des Droits du peuple Palestinien et son établissement en un Etat Indépendant est central dans ce rôle que doit désormais jouer l’Europe. Le Conseil Européen des Neuf doit convoquer une « Conférence de Paris », qui inviterait toutes les parties concernées, dont l’OLP.

Le colloque propose que l’ONU mette à l’ordre du jour la question des Sanctions devant être imposées contre l’Etat d’Israël, jusqu’à ce que ce pays cesse la « colonisation » des territoires « occupés », qui « viole la 4ème Convention de Genève ». Etc.

Rappelons qu’en septembre 1977, on est juste deux mois avant le coup d’éclat surprise d’Anwar El Sadate se rendant à Jérusalem -personne ne le sait encore-, vers la signature d’une paix séparée et une mise de l’Egypte à l’écart des pays de la Ligue Arabe. Il n’est encore question que des « 3 Non » de Khartoum (suite à la proposition israélienne de trouver un compromis après la victoire éclair de juin 1967), côté arabe.

Gilles Munier s’installe en Bretagne, l’année suivante (en missionnaire?), en 1978 où il anime l’Association pour les échanges Bretagne-pays arabes (APEBA), émanation d’Eurabia, puis Bretagne-Coopération Internationale (BCI).

En tant que Secrétaire Général des Amitiés Franco-irakiennes, à partir de 1986, il s’implique dans la libération de 9 otages de Saddam Hussein, lors de la Première Guerre d’Irak, en 1990. Dans l’affaire « pétrole contre nourriture », ce proche de Le Drian (sans impliquer celui-ci dans ses déboires judiciaires) est allocataire de 11,8 millions de barils via la société Aredio…, mis en examen en 2005 et relaxé en 2013[6].

A l’issue de ce périple sur le terreau où trouve son origine la carrière politique du locataire du Quai d’Orsay, ex- Ministre de la Défense sous plusieurs gouvernements, à partir de 2012 et toute la mandature de François Hollande, avant de rejoindre Macron, que peut-on retenir de cet étrange compagnonnage entre Munier et le Lorientais Le Drian ?

Même si le futur ministre n’est pas nécessairement informé des moindres détours précédemment effectués par le délégué qu’il se choisit, on n’offre pas un poste décisionnel au sein d’une association internationale à vocation de développement régional, sans examiner un tel itinéraire sous toutes ses coutures. Du point de vue des idées soutenues, il est clair que l’ancrage de Munier à l’extrême-droite, ses articles explicitement antisémites, par dénigrement de « l’exploitation de la Shoah » pour « commettre des atrocités » ne peuvent passer inaperçus sur un Curriculum Vitae. Quant à sa « reconversion », en tant que pilier de l’ASFA, il est tout aussi clair que c’est l’occasion de servir encore plus efficacement les causes premières de jeunesse et de développer des armes économiques comme le boycott et les sanctions à l’encontre de l’Etat Juif.

A partir de ce moment, si ce n’est Le Drian lui-même, Munier joue pour lui un rôle de fondé de pouvoir consistant, sinon à décider des grandes orientations, du moins à s’assurer du tracé décidé par cet axe euro-arabe, l’année précédente. Le futur Ministre des Affaires étrangères a donc signé des deux mains d’inscrire ses pas dans ceux du Panarabisme de l’époque, qui manifeste toute son hostilité à l’Etat Juif, même quand Sadate seul part à Jérusalem embrasser le chemin de la paix.

Ce faisant, Le Drian partage implicitement, depuis ses débuts de carrière nationale, les prémisses du mouvement érigé à Durban, Boycott, Désinvestissement, Sanctions, qu’il tend à généraliser en tant que politique européenne, de par les principes généraux dans lesquels s’inscrit, dès le départ, son Association pour les échanges Bretagne-pays arabes (APEBA). Si cela échappe complètement à l’électeur breton, c’est notifié dans la revue qui émane du siège européen de l’ensemble coordonné de ces filiales régionalisées. Sous l’impulsion de Munier, la ligne politique est encore plus nettement marquée par la dépendance à l’égard des dictatures syrienne, irakienne et de l’organisation d’Arafat.

Le « risque d’Apartheid », que Le Drian a pris à « l’insu de son plein gré », en 1978, est aussi un cri de dépit contre la réussite relative d’Israël, face à l’effondrement de tous les régimes crapuleux, mafieux ou tortionnaires qu’il a soutenu « sans l’avoir voulu » ou par capillarité, du fait de la forte empathie politique avec son entourage associatif …

A travers ce passé de jumelages sulfureux, Le Drian rêve tout haut , aujourd’hui, d’une forme de société multiculturelle égalitariste et dénonce Israël comme une corps social qu’il pense fondé sur (ou risquant d’opter pour) l’appartenance « ethnoreligieuse ». Mais la société arabe dont il s’inspire ne serait « égalitaire », que par l’effet du rouleau compresseur « Panarabe » d’un club de dictateurs, qui éclate au moment même où Le Drian le rejoint (du fait de la paix égyptienne séparée et de la révolution islamique en Iran, puis de la guerre Iran-Irak).

La question de fond consiste à se demander si on peut parvenir à une « société égalitaire », « multiculturelle », avec la partie la plus récalcitrante à la paix de ce monde arabe à laquelle il s’attache : les pays précédemment cités du Levant, en y ajoutant le Liban, les gangs criminels arabes d’Israël et des territoires dits « falestiniens ». Ou si, pour une forte minorité agissante, leur vocation n’est pas plutôt profondément ancrée dans leur inclination à « l’islamisme », par désir entretenu de reconquête contre les Juifs, et pas uniquement par désespoir, parce que les Israéliens seraient trop durs ou trop méchants envers eux, comme feint de le croire le Ministre d’apparence débonnaire….

Les pogroms de mai 2021, à Lod et ailleurs, ne vont clairement pas dans le sens de revendications sociopolitiques égalitaristes, mais creusent l’approfondissement de la haine contre les Juifs, sur le mode de l’irrédentisme musulman (du Jourdain jusqu’à la Mer, comme le souligne Bella Hadid). C’est évident, dans l’acte de brûler des synagogues, des symboles politiques et religieux, tout le mobilier urbain, etc.

Là où le Juif est devenu le « Harbi » universel, l’ennemi juré, positionné sur le Dar Al-Harb à conquérir, par opposition au Dar Al Islam, zone pacifiée et déjà conquise, où ne subsistent que des inférieurs, Dhimmis ou esclaves –

A cette heure, par l’entremise du Hamas, tous les Frères Musulmans de la planète, et même ceux importés aux USA et en Europe, viennent se donner la main pour la conquête symbolique ou sous forme d’insurrection, de Jérusalem, depuis Gaza, Doha, Ankara, dernières survivances ou réincarnation d’un substitut tardif au Panarabisme, militairement vaincu en 67 et 73… quand commence ce récit.

Voilà ce qu’il en est, des débuts de la « durbanisation » de l’esprit le Drian, poids lourd nostalgique de Saddam, Hafez et Yasser… Les meilleurs amis que la France ait connus.. ?

Par Marc Brzustowski

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Source: cet article a été publié initialement dans Tribune Juive le 30 mai 2021

 

Dr en sociologie et sciences sociales, Contributeur d'Outre-Terre, revue internationale de géopolitique, Chroniqueur sur divers sites de la communauté juive.