Une synthèse métapolitique de la Haine antijuive ancestrale

Le dernier ouvrage de Pierre Lurçat retrace la chronique de ce trait d’union de toutes les idéologies antijuives, qui se synthétise en un seul bouquet « final » dans la grande convergence historique de l’antisionisme.

Loin, en effet, de n’être qu’une simple « nouvelle expression » de l’antisémitisme traditionnel, réadaptée à notre époque post-Shoah, cette forme cathartique renouvelée de l’antique haine des Juifs constitue, selon les termes de Shmuel Trigano, une « nouvelle religion politique ».

Comme le dit l’auteur, l’ensemble de ses chapitres est un recueil de plusieurs cours structurés pour les dispenser dans le cadre de l’Université Populaire du Judaïsme, fondé par le philosophe.

 

Comme si nier la Shoah pouvait détruire la légitimité du nouvel Etat (Garaudy)

Le titre de l’ouvrage nous renvoie, parodiquement, à l’imposture de Roger Garaudy, ce négationniste et complotiste qui résumait la Shoah menée en Europe par le Nazisme à un « mythe »-prétexte à la fondation d’un Etat sioniste en terres « musulmanes ». Il résume, à lui seul, l’expérience collective de tous ces négateurs du droit à l’existence d’Israël, quel que soit le motif particulier qu’ils privilégient.

L’auteur décrit les motivations de la thèse fondamentale de ce « penseur » de l’anéantissement de l’Etat des Juifs en démontrant que pour le comprendre, il suffit d’inverser le postulat général : le refus de reconnaître l’existence de la Shoah est, d’abord et avant tout, un pilier de la négation du droit d’Israël à exister, en tant qu’expression de l’autodétermination d’un peuple, indépendamment de la tentative de démontrer que cet événement tragique ne serait pas déroulé à l’Est de l’Europe entre 1942 et 1945. Nier l’anéantissement des Juifs d’Europe ne sert pas à justifier ce régime en Allemagne à l’époque, ni le bienfondé d’une extermination, mais bien à assimiler l’actuel pays des Juifs à une démarche collective « d’usurpation » et de « génocide » d’autrui, les « victimes des victimes » (les Palestiniens), selon les termes d’Edward Saïd (lui-même usurpateur professionnel, puisque, contrairement à ses déclarations, il n’est jamais né à Jérusalem, mais bien au Caire, au sein d’une famille de antis égyptiens). Un peuple dont la cause est mise au point au détour de la défaite arabe de 1967, par le KGB et plusieurs services arabes. Sans quoi, les états coalisés contre l’Etat juif se seraient contentés de « jeter les Juifs à la mer », selon l’expression consacrée et de partager le territoire, comme ils comptaient le faire en 1948.

 

 

Détruire Israël : de la théorie à la pratique permanente (Hamas)

Toute contestation du droit « théorique » du peuple juif à constituer son propre état débouche inéluctablement sur la volonté d’y mettre fin : non seulement de démanteler les structures et instances « fonctionnelles de cet état, mais bien de disloquer et disperser ce peuple, comme l’empire romain l’a incarné au moment de l’Exil. Contestation du droit de ce peuple à reprendre en main son destin historique et délégitimation de cette construction étatique sont les deux premières formes d’antisionisme, qui se traduisent par sa diabolisation. Israël devient ainsi vite la source  de tous les maux de la région et, partant, de l’humanité dans son ensemble (voir Charte du Hamas).

Survient ensuite, sous couvert de critique politique « radicale » de la politique menée, la criminalisation du moindre de ses actes et décisions. Elle conduit à la caricature des premiers ministres israéliens comme de « bouchers » (Sharon, Netanyahu, avant eux Moshe Dayan, Begin, etc.).

 

La nouvelle internationale juive-sioniste

La cinquième forme d’antisionisme globalise l’ensemble juif mondial dans une internationale du crime, mêlant tout Juif de par le monde aux actes réels ou supposés de cet état, comme le soutenant intrinsèquement dans chacune de ses actions là où il se trouve. Ainsi peut-on raisonnablement incendier une pharmacie juive à Sarcelles en 2014 (ou une synagogue à la Roquette), en « représailles » aux bombardements de l’IAF, eux-mêmes motivés par les tirs de roquettes sans discontinuer sur le pourtour de Gaza et jusqu’à Tel Aviv et Haïfa.

Le cheikh Fadlallah  du Hezbollah parle simplement de la poursuite de la guerre ancestrale contre le « complot juif à l’encontre de l’islam » (sic.). L’inversion des causes et des effets permet d’engranger et entretenir le cycle continu de ces conflits épisodiques.

 

Du procès des Blouses Blanches au Parti d’Allah (Hezbollah)

Pierre Lurçat se focalise sur deux formes contemporaines d’antisionisme, qui en sont comme les père et mère fondateurs et alliés dès l’origine : l’idéologie soviétique et la lutte arabo-musulmane contre l’existence d’Israël. L’antisionisme devient, d’ailleurs, le dernier carré de la lutte antimondialiste, après la disparition de l’empire soviétique, la cause orpheline qui se perpétue en l’absence même d’idéologie de remplacement.

La première forme d’antisionisme culmine avec le procès des Blouses Blanches, à l’ère stalinienne, où les interrogateurs ont le « génie » soudain de remplacer l’ethnie mise en cause par la supposée aspiration à être « sioniste » (c’était-à-dire bourgeois déviant).

Avec Bat Ye Or, Pierre Lurçat dément une thèse en vogue : le monde musulman ne serait que comme une « page blanche » sur laquelle on aurait transposé, à l’identique, l’antisémitisme européen. La perfidie des Empires coloniaux, comme la France dans l’horrible « rumeur de Damas » (1840) ne peut occulter l’antijudaïsme intrinsèque de certains versets du Coran, qui a besoin de l’Autre pour s’y substituer comme prophète de vérité ultime. Ces remarques n’empêchent nullement l’auteure égyptienne de décrire une autre grande perversité, liée au partage d’un pourtant même sort de dhimmitude, entre Juifs et Chrétiens : la confirmation des thèses antisémites islamiques par de grands leaders des Chrétiens d’Orient, citant alors ses pires tenants : Antoun Sadé, créateur du Parti Social-Nationaliste syrien, George Habache (FPLP), Aflak, fondateur du Parti Baath, Alfred Roch, etc.

 

La Naqba ou l’examen de conscience manqué du monde arabe

L’auteur démontre que la « Naqba » n’a pas l’origine ni le sens qu’on lui donne : elle naît de la séparation de la « Palestine » mandataire d’avec la Grande Syrie, dans les années 20, mais surtout, la rhétorique qui lui est liée dit exactement le contraire de ce qu’elle signifie dans le mythe : la « Catastrophe » provient du fait que le monde arabe s’accroche à son passé mythique et est incapable de faire les pas en avant que réalise devant ses yeux le peuple juif de retour sur sa terre. Là où Israël devient vite un parangon de progrès et de lutte pour faire avancer l’humanité, le monde musulman s’enferre sur un « âge d’Or » disparu à jamais et dans le fondamentalisme régressif en opposition à un Occident qui le laisse à la traîne. Or, la doxa insiste sur le « péché originel » d’Israël, son prétendu « nettoyage ethnique » (départ des Arabes de Palestine à la demande et en suivant l’exemple de leurs leaders déserteurs), le supposé « Plan Daleth », simple plan de défense urbaine.

 

Le crime rituel comme inversion du scandale du choix de la Vie

En créant ce chapelet de mythes qui s’emboîtent les uns dans les autres, à partir de faits de guerre tronqués (comme Deir Yassin, plus tard Sabra et Chatila, provoqué par Elie Obeika le phalangiste et agent-double syrien), on tend à rendre inacceptable tout projet de cohabitation, à alimenter le terrorisme ou à renforcer les appels au boycott, la dénonciation d’un pseudo-apartheid entièrement démenti dans les faits quotidiens et les pratiques sociopolitiques. Quand des débordements surviennent, ils se changent en sur-événement, plutôt que d’être évalués sur des critères factuels. Ils permettent à l’environnement de se réconcilier dans la haine partagée du Juif coupable de tous les maux (Liban d’après 1982… jusqu’à sa chute sans fond actuel ?).

Au centre de ces thèses auto-prédictives, on trouve le cliché multiséculaire du « crime rituel », datant de l’accusation médiévale du meurtre d’enfants chrétiens, ressourcée périodiquement, autour de « l’Affaire Al-Dura », ou du « meurtre délibéré » de civils », lorsque les groupes terroristes s’en servent comme boucliers humains… Chaque fois, l’intention génocidaire arabe maintes fois exprimée, échouant, inverse le processus en prêtant celle-ci  à l’ennemi qui s’en sort victorieux. Ainsi l’Intifada peut éclater et s’hystériser à la suite des efforts de paix israéliens.

D’où proviennent ces inversions à répétition ? Bernard Lazare parle du « scandale juif du respect pour la vie humaine » en s’appuyant sur le témoignage de l’auteur latin Tacite. Historiquement, Abraham réfute en son temps le sacrifice humain comme une exigence « divine ». l’Israël antique instaure des lois sociales en miroir de celles dédiées à la divinité.

 

Ces Juifs lavés de tout soupçon de Judaïté (alter-Juifs)

Le mythe s’auto-alimente pour mieux appeler à détruire l’état présumé fautif. Mais l’ouvrage accorde une attention particulière aux militants juifs antisionistes, notamment certains des premiers compagnons de route de Mandela en Afrique du Sud. Nouvelle transposition-substitution idéologique : lorsque l’Etat Afrikaner se dissout,  il devient urgent d’assimiler l’Etat Juif à un régime « approchant ». En réalité, tout repose sur l’une des conditions sine qua non de celui-ci : de maintenir une majorité juive à travers le temps, sans quoi il serait assimilé à un ensemble plus vaste. Si l’Apartheid n’existe pas, en Israël, il faudra l’inventer : ainsi toute insistance sur un caractère « juif » devient intrinsèquement synonyme de « raciste » : tous les symboles de l’état, son hymne, son drapeau, ses us et coutumes doivent impérativement être dissout par tout moyen, sans quoi cela représenterait une forme quelconque de ségrégation ou d’exclusion. Ainsi en va-t-il chez ces nouveaux transfuges ou ces nouveaux convertis juifs à l’antisionisme. Plus royalistes que les rois, ils doivent devenir encore plus « semblables aux autres », s’ils veulent gommer leur judéité afin de se fondre dans la masse universalisée et sans le moindre trait de singularité juive subsistant.

 

 

L’Apartheid ou l’auto-dissolution

Ils cèdent ainsi à toutes les exigences de « l’émancipation »- assimilation à force de rejet (haine) de soi, en espérant qu’autrui sera assez indulgent pour tolérer cet on-ne-sait-quoi de Juif impérissable qui ne veut pas mourir en eux…

La fin de « l’Apartheid » version antisioniste se traduira donc par l’auto-dissolution des Juifs eux-mêmes. Parmi ces Juifs partisans de leur propre mort lente, on trouve d’authentiques enfants de la Shoah, comme Norman Finkielstein, inventeur du « Shoah Business » ou équivalent : « l’industrie de l’Holocauste » : le pire est qu’ils sont « sincères » (issu en ce cas du ghetto de Varsovie et de Maïdanek pour sa mère), c’est-à-dire simples dupes d’eux-mêmes, en voyant dans le moindre mal à tout ennemi d’Israël, une justification qu’il faut dissoudre cet Etat « criminel »(-lisé), identifié au mal qui a accablé leurs propres parents. Israël ferait commerce de mémoire et réinventerait le « mythe » de la Shoah pour « justifier ses propres crimes », selon cette doxa. Si Israël n’existe qu’à cause de la Shoah, alors il n’a plus de raison d’être pour et par lui-même, si cette époque est dépassée par un mal présumé pire : le « Sionisme ».

 

Aimerait-on les Palestiniens s’ils ne substituaient au peuple de l’Origine?

Ultime théologie de la substitution à l’âge moderne, les « victimes des victimes », les Palestiniens, seuls authentiques autochtones, viennent, dans l’œuvre de Shlomo Sand, prendre la place inversée d’un peuple juif « inventé », qui ne serait qu’un mixte de Berbères et de Kazhars…

 

Jean Genêt résume encore pourquoi il défend la cause des Palestiniens : « Si elle ne s’était battue contre ce peuple… dont l’origine se voulait à l’origine… la révolution palestinienne m’eût-elle attirée ? ». Aveu que ce peuple dit palestinien n’est que le prétexte à autre chose de bien plus profond et ancestral que sa simple découverte au détour de la guerre des Six Jours…

 

Finalement, qu’en pense Abraham sous la voûte étoilée?

Un tableau aussi noir de la haine d’Israël laisse t-il place à quelque rayon de lumière ? On le voit d’entrée, avec la déconstruction du mythe de la Naqba : on aurait pu l’entendre comme un appel à l’introspection et au changement, il en fut tout autrement. Mais on ne sort pas indemne de cette traversée d’un flux ininterrompu d’hostilité contre le seul Etat au monde dont on se permet de questionner le droit de simplement exister. Ce petit livre est un véritable pense-bête inventoriant les mille et une manières de haïr le Juif comme incarnation de tout ce qui irait de travers sur la planète. Tout ? Pas nécessairement. Il reste un petit village d’irréductibles voués à interpréter le sens de l’Hatikva (l’Espoir)…

Aujourd’hui, le Golfe des Lumières apporte, avec les Accords d’Abraham, une vision future de l’intégration d’Israël et des Juifs dans l’économie générale du Moyen-Orient, comme le pays moteur de l’innovation, seul capable de transformer tous les rapports internationaux, militaires, économiques, technologiques, par un nouveau partenariat. Poursuivre dans la conflictualisation entretenue par tous les courants antisionistes réunis n’amène le monde arabe et sa cause-fétiche qu’à plus de ruine et de pays faillis (Liban, Syrie, Iran, … et ainsi de suite). Les plus perspicaces feront les bons choix pour le bien de leurs concitoyens, plutôt que de les entraîner dans la guerre perpétuelle, comme y incite actuellement l’Iran, dernier foudre de guerre oppressif pour son propre peuple…

 

* Cet article a été publié initialement le 1er août 2021 sur le site Terre-des-juifs.com

Dr en sociologie et sciences sociales, Contributeur d'Outre-Terre, revue internationale de géopolitique, Chroniqueur sur divers sites de la communauté juive.