Le discours d’ Aladin: le négationnisme de l’histoire du monde sépharade par les textes

Pogrom « Farhud » à Bagdad, Irak, 1941

Lors de la création d’Aladin, j’avais fait une étude de la doctrine de cette association concernant l’histoire des sépharades en monde arabe, tel qu’elle apparaissait sur son site*. On y découvre la stratégie idéologique sur laquelle reposent ses entreprises. Il est intéressant d’y glaner des citations pour comprendre le modèle rhétorique d’une réécriture négationniste de l’histoire.

 

La complaisance est son principe général. Il s’agit de flatter la partie islamique, ce qui se fait toujours, très systématiquement, aux dépens du christianisme et de l’Europe, présentés sous la forme d’une comparaison négative, de façon à faire croire à une plus grande complicité, une plus grande proximité des Juifs et des Arabo-musulmans. Cette complaisance ne fait que conforter un univers ethnocentrique, l’islam, qui méconnait avec suffisance et paternalisme le destin de ceux qui y étaient différents et elle favorise l’anti-occidentalisme.

Quand une mention est défavorable aux Arabes et à l’islam elle se voit toujours immédiatement équilibrée par une affirmation positive, de façon à annuler l’effet négatif, comme pour excuser et amoindrir la responsabilité. La comparaison avec la culpabilité de l’Europe joue à ce moment-là comme l’argument massue.

 

La philosophie du « dialogue »:  le mal est partagé

Aladin s’inscrit dans le modèle contemporain du « dialogue » qui récuse l’idée que dans les affaires internationales deux « camps » s’opposeraient, en l’occurrence, l’islam et l’Occident. La frontière passerait au contraire dans chaque camp mais surtout à travers le camp occidental. La vérité, cependant, est que ce à quoi nous assistons n’est pas un clash de civilisations mais plutôt un clash à l’intérieur de civilisations. C’est un conflit entre divers éléments au sein d’une même culture religieuse. Entre ceux qui ont le sentiment d’avoir subi insultes et humiliations sur le plan historique, ce qui a provoqué leur aliénation, et d’autres éléments au sein de leur propre société ainsi qu’avec ceux qui sont extérieurs à leur culture religieuse. Le conflit interne est avec ceux qui cherchent à avoir des contacts constructifs avec d’autres sociétés dans le cadre d’une culture mondiale et d’une interaction positive avec la modernité. Ce clash « à l’intérieur même de civilisations, » signifie que des voix éclairées des deux côtés ont pour responsabilité de travailler ensemble non seulement pour devenir plus grandes que la somme de leurs différentes parties mais aussi pour apporter ce témoignage alternatif essentiel, à savoir celui de la coopération inter-religieuse et interculturelle ainsi que celui du respect mutuel. Plus particulièrement, les dirigeants musulmans et juifs doivent à leurs communautés et aux traditions de leur foi de réfuter toute exploitation destructrice de leur civilisation religieuse respective en tirant leur inspiration des exemples de la coopération et de la collaboration glorieuses du passé des enfants d’Abraham, musulmans, chrétiens et juifs, au profit de tous. »

 

La réécriture

La description de la dhimma, condition d’avilissement et de déchéance des Juifs est donc naturellement l’objet d’un déni. Le discours qui en rend compte témoigne d’une insensibilité de plomb à ce que fut la condition des Juifs en islam. Ainsi, Juifs et chrétiens « ont toujours joui d’une plus grande protection (équilibre comparatifque celle dont bénéficiaient les païens. Pendant des siècles, le statut de la dhimma a été appliqué à (sic) juifs et chrétiens dans le monde musulman. Ce qui signifie qu’en contrepartie d’un paiement d’impôts supplémentaires des droits limités leur étaient accordés. » On fait équilibre à la dhimma en la comparant au statut des « païens ». Appliqué ? Imposé par la coercition !

* Voir Controverses.fr, « Le Blog de Shmuel Trigano ».

Quand des exactions ont été commises, le « mais » arrive toujours très vite « Mais, en dépit de leur statut de dhimmi, les juifs étaient libres de pratiquer leur religion et ils vivaient mieux sous administration musulmane que sous administration des chrétiens byzantins. » Ce qui est une contre-vérité car le statut du dhimmi est un statut politique qui enferme les populations non musulmanes dans la religion, c’est à dire l’islam.

« En règle générale, les communautés juives qui étaient restées dans le monde musulman étaient protégées selon les termes du Pacte d’Umar. Et, si elles acceptaient leur statut de citoyens de seconde classe, elles vivaient paisiblement et en bonne intelligence avec leurs voisins musulmans. » On croit rêver et on se demande qu’elle est la conscience juive et le sentiment de dignité des gens qui font la FMS…

Le « miracle d’Al Andalous » est présenté comme s’il avait été un phénomène suis generis et non le résultat d’une invasion et d’une conquête cruelle de djihad. Andalous était une terre où Juifs et chrétiens étaient des dhimmis, où il y eut des vagues d’antisémitisme théologique, de grands pogroms, etc.

La fin d’Andalous est présentée comme une menace venant d’un islam extérieur, de surcroît, justifiée par une menace chrétienne ! « Il y eut un revers de cette société relativement ouverte d’al-Andalus, puis sa fin, lorsque des armées sont venues d’Afrique du Nord pour aider à la défendre contre les chrétiens espagnols qui repoussaient les musulmans dans le nord, les chassant de leurs bastions. Les juifs subirent des restrictions sévères sous les régimes berbères islamistes et finirent par se déplacer vers le nord pour aller dans des régions conquises (sic) par les chrétiens et où, pour l’heure, ils étaient mieux traités. » C’est ahurissant, ces armées venues d’Afrique du Nord étaient les mêmes que celles qui avaient envahi l’Espagne. Par contre la Reconquista est présentée comme une conquête qui menace l’Andalousie…

Un peu plus tard, « la société islamique commença à faire place à une mentalité plus féodale, à la fois rigide et autoritaire. De nombreuses communautés juives durent (sic) s’installer dans des ghettos (qu’en de beaux mots ces choses-là sont dites !) et ici ou là (sic) des communautés juives et chrétiennes furent détruites. « Ici ou là » ? Toutes les communautés d’Afrique du Nord furent exterminées ! Faut-il parler de négationnisme ?

Les perles sur la dhimma s’enfilent, je les cite non exhaustivement :

-« le grand (sic, sic, sic) conquérant Omar Ibn Al-Khattab, calife qui spécifia les conditions d’octroi de ce statut aux protégés dans ce qu’on appelle le « pacte d’Omar ». Grâce au pacte, les « Gens du Livre » étaient autorisés à s’installer et à posséder des biens, à exercer librement leur culte, à entreprendre et à circuler. La soumission des « dhimmi » se traduisait surtout par le paiement d’une taxe de capitation (djizya) et des conditions de vie inférieures ». Merci pour l’autorisation ! Ils étaient là avant l’invasion arabe qui les déposséda de leurs biens et de leurs propriétés.

-« La situation sociale des Juifs découlait de leur statut juridique, de leur activité économique et de la tradition religieuse de leurs voisins. La masse des musulmans manifestait mépris à l’égard des dhimmi et des étrangers quels qu’ils soient, mais cette situation n’empêchait pas l’existence de bonnes relations de travail et parfois même de liens d’amitié. » « Découlait » ? Où est la responsabilité politique ?

-« Les Juifs n’ayant pas d’existence politique indépendante et ne constituant pas une nation contrôlant un territoire défini, bénéficiaient d’une présomption de loyauté envers les autorités, qui les traitaient bien, collectivement et individuellement. » Haïs par les masses, ils étaient les serviteurs obligés des potentats qui, parfois les livraient à la foule. Le chef de la nation juive était très souvent exécuté.

-« L’adoption de l’arabe par les Juifs introduisit non seulement un nouveau vocabulaire ; mais aussi un mode de pensée entièrement neuf, permettant aux Juifs des pays musulmans de participer à la culture dominante et de l’intégrer comme ils n’avaient jamais pu le faire dans l’Europe chrétienne ».
Ce qui est un mensonge si on oppose à cela l’exemple de la Pologne où les Juifs connurent une grande époque et une sorte d’État sur un grand territoire, le « Conseil des Quatre Pays ».

– « Au milieu du VIIe siècle, l’État perse devint une province de l’empire arabo-musulman. La conquête arabe substitua une religion d’État à une autre, mais pour les Juifs, c’était un progrès. Ils bénéficiaient, comme ailleurs sous la loi de l’islam, d’un statut inférieur mais protégé. Protégé contre qui ?

-« Cependant, la constitution de 1979 reconnut les Juifs comme une minorité religieuse et leur accorda un siège réservé au Parlement ». Or, c’est exactement l’application de la condition de dhimmi.

-« Les autorités ottomanes n’avaient pas posé de restrictions sur les activités professionnelles des minorités religieuses, la seule limite était l’enrôlement dans l’armée ou l’entrée dans les rouages du pouvoir et de l’administration. Les dhimmi jouissaient donc d’une totale liberté dans ce cadre ». Liberté ?

– « L’Islam maintint le statut juridique et communautaire des Juifs ainsi que leurs conditions de sécurité et, malgré les affrontements entre des tribus juives et l’armée du prophète Mahomet, le Coran reconnut le judaïsme. » La réécriture tire de la farce ici. Il y a eu une vie juive florissante en Arabie avant l’islam. Les tribus juives furent, à ce que rapporte le Coran, exterminées, converties ou chassées. On décréta qu’il ne pouvait y avoir 2 religions dans la péninsule arabique. Remarquons au passage l’équilibre établi avec la violence des tribus juives ! Ah, ces sépharades !

-« Les Juifs soutinrent la conquête de l’Irak par les musulmans. Sous la domination des califes de Bagdad, ils payaient une taxe individuelle, qui leur assurait la liberté religieuse et communautaire. » Encore une version scandaleuse de la dhimma !

-« Sous le gouvernement des Jeunes-Turcs (1908), qui menèrent une politique d’unification, ils servirent dans l’armée, obligatoire pour tous. Ils combattaient dans les unités turques pendant la Première Guerre Mondiale ou y furent médecins ou traducteurs. »Occultation totale de la persécution dont les Juifs furent victimes dans cette armée (cf l’article sur la Turquie dans le livre La fin du judaïsme en Terres d’islam) !

-« Quand Saddam Hussein accéda au pouvoir en 1979, il restait moins de 400 Juifs en Irak. La communauté juive vécut donc sous surveillance constante. Toutefois, il semble que l’attitude de Saddam Hussein envers les Juifs irakiens ait été moins excessive qu’on pourrait le croire ». En somme vive la tyrannie de Saddam !

-« Pendant la période ottomane, les Juifs d’Algérie étaient strictement soumis au statut de «dhimmi». Il faut toutefois noter une grande diversité d’application de ces règles dans l’espace et dans le temps. Des relations de bon voisinage voire d’amitié purent se nouer, notamment à l’occasion de la célébration des fêtes juives. » On est confondu par tant de mièvrerie. L’auteur semble méconnaître que les Juifs qui échappaient à la condition de dhimmi devaient acheter la protection de consulats européens qui leur conférait leur citoyenneté sur le plan juridique, en vertu d’un accord des puissances européennes avec la Sublime Porte.

-« Comme les autres Juifs des pays islamiques, ceux d’Ifriqiya (nom pris par l’actuelle Tunisie) acquièrent le statut de dhimmi. En réponse à cette nouvelle situation, les Juifs choisirent de s’insérer économiquement, culturellement et linguistiquement dans la société tout en conservant des particularités, notamment culturelles et religieuses. » Acquérir ? c’est un statut imposé, non pas d’insertion mais de ségrégation !

-« Certains Juifs marocains se réjouirent de cette mainmise coloniale, espérant que la fin du statut de dhimmi signifierait pour eux l’obtention de celui de citoyens français, comme pour les Juifs algériens en 1870. Mais ils furent déçus… Entre la création de l’État d’Israël en 1948 et l’indépendance du Maroc en 1956, 90% des Marocains juifs émigrèrent. Les plus pauvres partirent en Israël, où ils constituèrent une part importante du prolétariat et de la population des « villes de développement », tandis que l’élite et la classe moyenne émigrèrent au Canada et en France. Les Marocains juifs étaient des citoyens à part entière, électeurs et éligibles. L’État marocain leur avait établi un espace juridique conforme aux préceptes du judaïsme. Sur le plan du statut personnel, ils furent régis par la loi mosaïque, ce qui signifiait qu’ils étaient justiciables des chambres rabbiniques près des tribunaux réguliers pour tout ce qui touchait au mariage, à l’héritage et au droit des mineurs. » Ici ce sont les stéréotypes les plus éculés qui sont repris. Quant à la citoyenneté à part entière, c’est une vision négligente car les Juifs sont toujours des dhimmis au Maroc, hors du droit commun dans un pays qui ne sait pas ce qu’est la citoyenneté démocratique parce que l’islam y est religion d’État.

– « En 1882, un groupe de 150 Juifs partirent du Yémen et entreprirent un voyage harassant de 9 mois, qui les mènera à Jérusalem. En 1922, Le gouvernement yéménite réintroduisit une ancienne loi islamique laquelle contraignit les orphelins juifs de moins de 12 ans à être convertis à l’Islam. » Et ainsi l’on passe très vite sur l’extraordinaire souffrance des Juifs yéménites…

-« En 1947, le vote de l’ONU sur le partage de la Palestine eut des conséquences dans tout le monde arabe. Au Yémen, des émeutiers musulmans s’en prirent aux Juifs, en tuant 82 à Aden, détruisant des centaines de maisons juives. En 1949, quelques semaines après la fin de la guerre et à l’issue de la création de l’Etat d’Israël, la totalité de la communauté du Yémen, soit 49000 Juifs, arriva en Israël. » Les conséquences de quoi ? Du vote ou du refus du monde arabe ?

-« L’orthodoxie rigide de Saladin (1169-1193) ne sembla pas avoir affecté les Juifs de son royaume. En 1166, Maïmonide se rendit en Égypte et s’installa à Fostat ». Se rendit ? Il dût fuir les persécutions qui gagnaient la merveilleuse Andalous !

-« Sous la dynastie mamelouke des Baharites (1250-1390), les Juifs menèrent une existence relativement paisible, bien qu’ils soient obligés de payer de lourdes taxes pour l’entretien des équipements militaires, et qu’ils soient harcelés par les cadis et les oulémas de ces musulmans rigoureux ». A nouveau le même négationnisme sur la condition de la dhimma.

 La venue au pouvoir d’Hitler en 1933, bouleversa cet équilibre entre Juifs et Égyptiens, Hitler et la propagande antijuive nazie gagnèrent du terrain parmi la communauté allemande en Égypte, ce qui suscita la formation d’associations juives luttant contre l’antisémitisme ». C’est une farce ? L’auteur fait abstraction de tout le processus de dénationalisation des Juifs égyptiens par le biais d’un véritable Statut des Juifs.

-« Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté manifestait peu ou pas d’intérêt pour le sionisme. Significative à cet égard fut sa réponse aux violentes manifestations antijuives du 2 novembre 1945 (anniversaire de la déclaration Balfour en faveur de la création d’un foyer national juif en Palestine). Aux émeutes accompagnées de l’incendie de synagogues et du pillage de magasins juifs au Caire, le grand rabbin de l’époque réagit, dans une lettre au Premier ministre d’Égypte, en se dissociant de la revendication d’un État juif en Palestine. ». En somme les réactions sous la menace pour sauver sa peau sont tenues pour des positions de principe!

-« Al-Husseini et les troupes musulmanes qui combattirent aux côtés de la Wehrmacht n’étaient pas représentatives de ce que ressentait l’ensemble des musulmans lors de la deuxième guerre mondiale. En effet, des centaines de soldats musulmans venus d’Afrique, des Indes et d’Union Soviétique contribuèrent à vaincre le fascisme en se battant à El Alamein, Monte Cassino, sur les plages de Provence ou à Stalingrad. Il y eut également des cas de musulmans qui firent preuve d’un grand courage et se sacrifièrent en risquant leur propre vie pour sauver des juifs des mains des nazis. » C’est des mouvements nationalistes qu’il est question qui, tous fleuretèrent avec le nazisme. Al Husseini compte parmi les plus grands leaders du nationalisme arabe, le fondateur du nationalisme palestinien, celui qui conféra un statut religieux à l’antisionisme. L’opinion arabo-musulmane dans sa grande majorité soutenait les puissances de l’axe, ennemies des pouvoirs coloniaux.

-« Les conditions de vie des juifs dans plusieurs pays musulmans commencèrent à se détériorer au XIXème siècle avec le déclin du pouvoir ottoman et la montée de la ferveur nationaliste et du radicalisme religieux en réaction à l’influence grandissante des pouvoirs coloniaux européens. C’est à cette époque qu’apparurent les premiers stéréotypes antisémites dans le monde musulman. » La haine des Juifs vient toujours de l’Occident de surcroît colonial qui vient sans doute briser l’idylle judéo-arabe…

****

On se demande en vertu de quelle autorité, la Fondation Aladin réécrit l’histoire. La reconnaissance de la Shoah qu’elle escompte manquera inéluctablement son objet mais autorisera le ressentiment politique envers Israël, dont l’histoire des Juifs en monde musulman est la clef et non la mémoire de la Shoah. Elle approfondira son mépris paternaliste pour le monde sépharade. La FMS dépolitise le contentieux judéo-musulman au profit d’une sanctuarisation de la Shoah dont la moindre des conséquences n’est pas d’assigner l’existence juive à un passé muséographique. Par contre, cette dépolitisation a des conséquences éminemment politiques. Le problème avec le monde arabo-musulman, n’est pas la Shoah mais le peuple juif vivant, sujet de l’histoire.

.

Professeur émérite des universités, directeur de Dialogia, fondateur de l'Université populaire du judaïsme et de la revue d'études juives Pardès. Derniers livres parus Le nouvel État juif, Berg international, 2015, L'Odyssée de l'Etre, Hermann Philosophie, 2020; en hébreu HaMedina Hayehudit, Editions Carmel 2020, Haideologia Hashaletet Hahadasha, Hapostmodernizm, Editions Carmel, 2020.