De la Guerre d’Algérie à la Guerre d’Israël…

Les intellectuels et les historiens d’Israël gagneraient beaucoup à s’intéresser à la Guerre d’Algérie (1954 – 1962). Pas à celle racontée par la gauche française, encore moins à la version algérienne officielle, toutes deux aussi mythiques que fausses. Pourquoi ? Pour la simple raison, que çà les aiderait, en particulier, à mieux appréhender le récent mouvement pogromiste (qui se poursuit), déclenché en parallèle à l’envoi de plus de 4000 missiles par le Hamas, et, en général, la dite ‘’cause falestinienne’’.

La guerre d’Algérie

La guerre d’Algérie, version mythique, est une guerre de décolonisation, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, à l’initiative des colonisés. Une guerre du faible contre le fort, légitimé de ce fait à recourir au terrorisme. Jean-Paul Sartre (l’existentialiste !) résume parfaitement cela ainsi :  « …. Car en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre » (préface aux ‘’Damnés de la terre’’ de Frantz Fanon).

Selon moi, cette guerre fut illégitime, et plus encore les moyens utilisés. Au moins pour deux raisons.

La première : ‘’la cause’’.

Le narratif des jeunes algériens promoteurs nationalistes de cette guerre en 1954, ossifié en mythe depuis et ce jusqu’à aujourd’hui, puis repris sans esprit critique par la gauche française, ses intellectuels et ses historiens, également jusqu’à aujourd’hui, repose sur son inévitabilité. Faute de pouvoir contester politiquement et pacifiquement la colonisation, la lutte armée s’imposait. Or il n’y a rien de plus faux.

Lorsque l’on observe la réalité de la vie politique entre la fin de la 1ère guerre mondiale (1918) et 1954, ce qui frappe, à moins de cécité idéologique, c’est au contraire une progression constante et géométrique de tous les marqueurs d’une vie politique et associative civilisée et pacifique. D’année en année, grandit constamment le nombre d’associations, de syndicats, de partis, d’organisations de femmes et de jeunes, de  journaux, de revues, de meetings, de manifestations, etc… Ce qui a aussi pour conséquence de plus en plus d’enfants scolarisés, d’étudiants, de lettrés, d’intellectuels, d’écrivains et d’artistes… En un mot, une société civile algérienne était en train de naitre et de s’affirmer. Une telle progression, durant une décennie encore, aurait rendu tout à fait possible une sortie pacifique de la colonisation, et une société multi-ethnique garantissant les droits culturels et cultuels de ses minorités.

Au lieu de quoi, nous aurons une guerre de plus de 7 ans, 300 000 morts (dont la moitié sur le compte du FLN-ALN), le massacre des Harkis et l’exode d’un million de non-musulmans. Enfin, cerise sur le gâteau de l’indépendance, les militaires au poste de commandement, et ce jusqu’à ce jour. Mais quand on détruit sa propre société civile, à quoi d’autre peut-on s’attendre ? Mouloud Hamrouche, un ex-premier ministre, sans doute l’homme politique le plus intelligent que l’Algérie ait produit, déplora il y a une quinzaine d’années que la lutte de clans empêchait tout exercice de la politique. Puis courageusement ajouta : ‘’pour observer une vie politique, il faut remonter aux années 40’’. (C’est-à-dire au temps de la colonisation !). Moi, j’aurais dit, au moins : ‘’années 30’’…

 

La seconde : ‘’les moyens’’.

Pour accéder à l’indépendance, pourquoi donc la guerre fut-elle préférée à la lutte politique par les dirigeants de l’époque ? La réponse s’impose d’elle-même. Les dirigeants algériens n’en ont jamais fait secret, que ce soit avant ou après l’indépendance.

En 1956, s’adressant aux étudiants algériens de Paris qui voulaient que le sigle de leur organisation soit UNEA et non UGEMA (le  ‘’M’’ de musulmans) Réda Malek : « L’Algérie, n’est pas un manteau d’Arlequin », et Bélaïd Abdeslem[1] « Avec un million d’Européens, l’Algérie serait ingouvernable ! » (Propos consignés dans une thèse d’histoire de Pierre Jean-Lefoll). Après l’indépendance, Réda Malek : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé. »  (« Accords d’Evian » – Le Seuil, 1990), et Ben Khedda, président du GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne, 1961-1962) : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale » (« La fin de la guerre d’Algérie », Casbah Ed. 1998).

Depuis toujours le mouvement nationaliste avait mis le cap sur une Algérie musulmane. Comme si les juifs et les chrétiens n’avaient jamais existé et même avant la conquête islamique. ‘’Arabo-musulmane’’ avant 1830, l’Algérie devait le redevenir. Et au final, les non-musulmans déguerpir. De fait, la guerre fut menée sous les hospices de l’islam, comme un djihad (une guerre sainte), ‘’fi sabil illah’’  (pour la cause de dieu).

Cette motivation, pourtant essentielle et évidente, la gauche française préféra l’ignorer. Comme elle préféra ignorer que le recours au terrorisme n’était pas la conséquence de l’asymétrie des forces, mais de ce projet d’expurger l’Algérie de tous ses non-musulmans. ‘’La valise ou le cercueil’’ n’est pas un slogan de l’OAS comme certains l’ont dit, mais bien un slogan dessiné depuis 1945 sur les murs des villes, par les nationalistes. Ce n’est donc pas un hasard si la guerre d ‘Algérie, commença et se termina par un massacre de non-musulmans dûment préparé, le 20 Août 1955 (entre Philippeville et Constantine) et le 5 Juillet 1962 (à Oran)[2]. Entre ces deux dates, les bombes dans des lieux publics, les kidnapping au faciès et les assassinats ‘’aveugles’’, ou bien ceux visant des personnalités recherchant le dialogue et le contact inter-communautaire, furent le mode opératoire principal[3].

L’objectif de la guerre et plus particulièrement du terrorisme, Zighout Youcef, un chef militaire, le déclare sans ambages dès 1955. Non pas vaincre l’adversaire, mais ‘’creuser un fossé’’ entre les communautés, un fossé qui ne puisse jamais plus être comblé. En faisant couler du sang, et en attendant des représailles toutes aussi sanglantes, le fossé devient irrémédiable.

Je précise que ce terrorisme visant l’autre, concerna aussi les siens. Pour que la stratégie de guerre ethnique réussisse, deux conditions sont nécessaires : tous les personnalités qui tentaient de construire ‘’des ponts’’ devaient disparaitre et le peuple musulman devait être soumis entièrement au FLN-ALN (dans le meilleur des cas, on coupait le nez des récalcitrants, et bien sûr les 150 000 Harkis seront massacrés, une fois que l’armée française les abandonnera en 1962, sur l’ordre de De Gaulle).

Il en fut de même rappelons-le pour les Arabes de Palestine entre 1936 et 1939, durant cette ‘’grève générale’’ vite transformée en guérilla qui fut décrétée par le grand mufti de Jérusalem, Amin el Husseini : ses troupes tuèrent beaucoup plus d’Arabes (réfractaires à son pouvoir et à sa vision) que de Juifs.

 

La guerre d’Israël

Nombre d’intellectuels israéliens ont identifié, à tort, les deux peuples, juif et algérien, et les deux guerres comme des guerres d’indépendance, la guerre d’Israël légitimant la guerre d’Algérie. Certains comme Ilan Pape, allant jusqu’à accuser Israël de nettoyage ethnique.

Pourtant tout les distingue. Le nationalisme juif sioniste avait un but : redonner un Etat au peuple juif, ici souverain depuis 3000 ans, à trois reprises, et durant des siècles. Le nationalisme algérien avait pour but de chasser les non-musulmans. Durant la guerre d’Israël de 47-49, l’exode des musulmans ne fut pas la conséquence d’un terrorisme juif[4] – qui s’il exista dans certaines organisations, fut un contre-terrorisme ponctuel et non systémique – mais de l’échec de la tentative d’extermination des Juifs, par les Arabes de Palestine et de 5 autres pays environnants. Deux peuples, deux projets opposés en tout, qui auront naturellement deux fins bien différentes : la liberté qui donne la possibilité d’un essor tous azimuts pour Israël, le totalitarisme et la stagnation pour l’Algérie, et pour la Falestine d’Abbas et du Hamas…

La guerre des Arabes de Palestine, menée d’abord par le grand mufti de Jérusalem, Amin el Husseïni, des années 20 à la fin des années quarante, puis par les fidayine du Fatah, puis par les organisations falestiniennes de l’OLP, puis par le Hamas, a toujours été appelée au nom de Dieu. Elle s’est toujours voulue djihad, avec toujours le même drapeau : la défense d’El Aqsa. Que ce symbole repose sur une contre-vérité historique et un détournement du coran, lequel ne dit pas et ne pouvait dire que la mosquée d’EL Aqsa construite au 7ème siècle sur le Mont du Temple avait été visitée par le prophète, puisque ce dernier était mort 60 ans auparavant, en dit long non seulement sur la ‘’morale’’ des preux d’Allah[5], mais aussi sur la qualité de ce mouvement faussement national dont le carburant essentiel est l’obscurantisme, le fanatisme, et l’irrationalité.

Ce mouvement qui n’a pas d’autre objectif que la disparition d’Israël aurait lui-même disparu depuis fort longtemps s’il n’avait eu pour fonction de cristalliser toutes les haines anti-juives du monde, européennes et américaines, d’extrême-gauche et d’extrême-droite, blanches et noires, chrétiennes et musulmanes, du passé et du présent. Il a donc été mis sous perfusion tant par injections régulières d’argent, que par la transformation des Falestiniens en peuple assisté, devenant de par la grâce de l’UNWRA, organisation de réfugiés créée uniquement pour eux, le plus grand peuple mendiant du monde. Deux peuples, deux destins. L’un véritablement martyr, a, dès qu’il l’a pu, refusé de s’installer dans cette condition, et c’est bien pour cela qu’il dérange, sans parler de ses progrès continus. L’autre, au contraire, s’installe dans la jouissance du ‘’martyr’’ auto-proclamé, et le monde fait tout ce qu’il peut pour l’entretenir. N’ayant pu empêcher la renaissance d’Israël, le monde fait tout pour l’entraver et les Falestiniens ont parfaitement compris quel rôle on leur avait assigné, plus ou moins tacitement.

La guerre d’Israël a changé de formes avec le temps, mais jamais de contenu : se battre et devoir vaincre pour exister. Après des échecs retentissants et humiliants, les pays arabes, faute d’avoir pu faire disparaitre Israël, ont semble-t-il opté pour une stratégie de coopération, dont on ne connait pas encore toutes les motivations, hormis celle du danger iranien. Le Front arabe du refus d’Israël s’est donc effondré. Et lors de la récente guerre du Hamas, ce mois-ci, ni la Ligue arabe, ni l’OCI ne se sont réunis pour condamner Israël.

Le danger musulman pour Israël a-t-il pour autant disparu ? Dans le principe, il demeurera, tant que le monde musulman ne reviendra pas à sa propre source, le coran, qui appelle les Beni Israël a ‘’revenir en foule’’ vers la Terre ancestrale, tant qu’il ne déclarera pas à la face du monde qu’Israël est tout à fait légitime en cet endroit du globe, tant qu’il ne mettra pas fin à l’antisémitisme délirant dans lequel baignent médias, école et universités.

Aujourd’hui ce danger est incarné principalement par l’Iran et son allié le Hizbollah libanais, la Turquie, le Hamas de Gaza et de Judée-Samarie, et…. les partis arabes d’Israel. Car ce qu’il y a eu de nouveau dans cette guerre de Mai 2021, c’est l’émergence d’un mouvement de type insurrectionnel, lequel, comme toujours dans l’histoire musulmane, a pris la tournure d’un mouvement pogromiste.

Contrairement à ce qui a été suggéré et dit ici et là, ce mouvement n’était ni spontané, ni une réaction à…. Un mouvement duel de cette envergure engageant le Hamas avec ses 4000 missiles, et simultanément, des révoltes dans toutes les villes dites ‘’mixtes’’, a forcément été préparé avec la complicité de tous les partis musulmans.

L’insurrection nationalisto-religieuse de Mai 1945 en Algérie, dans la région de Sétif, qui coûta la vie a plus de 130 chrétiens et juifs, fut aussi présentée comme ‘’spontanée’’. Cette inversion des responsabilités et de la chronologie vise à transformer les agresseurs en agressés. Une fois minutieusement préparée puis déclenchée au ‘’bon’’ moment, l’esprit grégaire et l’instinct de lynchage, font le reste. Il en fut notamment ainsi en terre d’Israel, en 1921 ; en 1929, de 36 à 39, et en Algérie, lors du pogrom à Constantine de 1934 dont le prétexte fut qu’un soldat juif avait uriné sur le mur d’une mosquée, puis en 45, puis en 55, puis en 1962 à Oran. Mêmes cris, mêmes slogans ‘’Itbah Yahoud’’ (Egorge le Juif), ‘’Nquetlou Yahoud’’ (Tuons le Juif).

A quoi aujourd’hui se décuple la vitesse de l’information par les dits ‘’réseaux sociaux’’…

L’effet de répétition ne devrait cependant pas banaliser ce qu’il s’est passé et continue d’ailleurs de se passer dans les villes mixtes, sans parler des manifestations qui ont eu lieu dans les villages ou villes entièrement arabes. Car après une certaine neutralisation du monde arabe vis à vis d’Israël, après la faillite de l’OLP, et la paralysie de l’Autorité falestinienne, qui vient d’annuler une nouvelle fois les élections, on pourrait se demander si la fonction dévolue à ce mouvement insurrectionnel à l’intérieur même d’Israel n’est pas une tentative pour ressouder les rangs de tous les musulmans.

Quelles qu’en soient les raisons profondes, le fait, qualitativement nouveau mérite que l’on s’en inquiète, car cette fois l’agression provient de l’intérieur même d’Israël, et que loin d’être une action de décervelés, elle est la traduction guerrière de tout le discours des partis politiques musulmans, lesquels rappelons-le, refusent Israël comme Etat du peuple juif, ainsi que ses symboles, et son armée Tsahal.

Il est donc à prévoir que les revendications politiques de ces partis qui visent à transformer Israël en ‘’Etat de tous ses citoyens’’ comme étape intermédiaire vers la submersion du peuple juif, puis dans un second temps, vers une Falestine ‘’de la mer au fleuve’’, vont être clamées de plus en plus fort, tout en se combinant de plus en plus souvent avec des actions violentes.

Si Israël ne sortait pas rapidement de sa crise politique actuelle, et si la droite bien que très majoritaire préférait se faire hara-kiri, on peut craindre une vraie guerre civile. Car si, ni la police ni l’armée n’était capable de mater les velléités insurrectionnelles, et de faire régner l’ordre de l’Etat juif, les Juifs auront à se défendre eux-mêmes, sans parler d’une guerre entre Juifs, tout à fait possible lorsque l’on constate le niveau de haine des journalistes et des politiciens à l’égard de ce qu’ils diabolisent en ‘’extrême-droite’’[6].

Ce qui serait le prélude à la fin d’Israël.

 

29 Mai 2021.

Jean-Pierre Lledo

 

 

 

 

[1] Redha Malek et Belaid Abdesslem furent des ministres de Boumedienne. Malek devint même 1er ministre durant la lutte du pouvoir contre le GIA (Groupes islamiques armés).

[2] Mon avant-dernier film ‘’Algérie, histoires à ne pas dire’’ qui en témoigne a été interdit dès sa sortie en Algérie en 2007, et le reste.

[3] La guerre des ‘’moudjahidine’’ – plutôt du harcèlement – car contrairement au Vietnam, l’ALN ne fut jamais capable de libérer un quelconque territoire. Complètement laminée en 1959, l’ALN fut confinée aux frontières marocaine et tunisienne.

[4] Le terrorisme de l’OAS, durant les deux dernières années de la guerre fut celui de desperados tentant de faire échec au plan du FLN adoubé par De Gaulle de s’expurger de toute présence non-musulmane.

[5] Un islamologue égyptien, dont je n’ai pu avoir le nom, explique très tranquillement ceci à la jeune journaliste  qui n’en croit pas ses oreilles : https://www.facebook.com/100005004587788/videos/1934109370099197

 

[6] Le Haaretz, ne vient-il pas de publier à la ‘’Une’’ les photos ‘’des 67 enfants arabes tués à Gaza’’ durant la guerre des 10 jours de Mai 2021 ? !

 

 

Cinéaste. A vécu en Algérie qu'il abandonne en 1993, auteur de Le Monde arabe face à ses démons : Nationalisme, Islam, Juifs. Après son alya en 2011, il réalise un film en quatre parties Israël, le voyage interdit.