Les émeutes du Negev: une nouvelle version du nationalisme palestinien?

Il faut suivre de près les événements du Negev pour voir la direction qu’ils prennent. En refusant que le Keren Kayemeth, une institution nationale, se livre à un travail d’afforestation dans une région du Negev sous prétexte que les terres concernées sont les leurs, ce qu’aucun document juridique ne prouve, les Bédouins lancent un message de sécession nationaliste et de rébellion contre la souveraineté de l’Etat. Ce n’est pas une propriété privée qu’ils revendiquent en effet mais une propriété collective. La terre est aux Bédouins, un point et c’est tout, à la façon dont un territoire appartient collectivement à une nation sans qu’il n’y ait de titre de propriété. Ce ne sont pas seulement de petits lopins de terre qui sont en question mais de facto tout le Negev comme le montrent depuis quelques mois toute une série d’incidents et d’agressions qui touchent toute la région et pas la seule parcelle de l’afforestation planifiée: attaques sur les routes, blocage de l’accès à certaines villes, insécurité des personnes et des biens dans Beersheva même, vols d’armes dans les casernes de Tsahal, trafic en tous genres etc. En un mot, le Negev n’est plus solidement gouverné. Les Bédouins aspirent en fait à une autonomie objective dans le cadre d’Israël et ils sont prêts à chasser les Juifs de leur supposé territoire en leur faisant la vie dure.

 

Est ce la première étape d’un démembrement soft de l’Etat d’Israël car cette situation s’étend à d’autres régions: la Galilée, des secteurs de Jérusalem, bien évidemment la Judée Samarie.

 

Sur le plan des réalités basiques, d’ autres dimensions s’ajoutent à cet état de fait dans le Negev mais qui ne sont pas contradictoires: les Bédouins constituent une population tribale, semi nomade, qui a résisté à la demande de sédentarisation émanant de l’Etat. Ils pratiquent la polygamie et jouissent donc d’ une expansion démographique galopante: en somme une population qui ne rentre pas dans les cases de la normalisation moderne.

Mais il y a une autre dimension bien plus grave qui conforte le caractère nationaliste ou prénationaliste des émeutes. C’est une déclaration de Mansour Abbas, le chef du parti islamiste, qui nous met sur la piste, quand il proclame face aux événements que « le Neguev c’est Raam », son parti, en menaçant de retirer son soutien à la coalition si les Bédouins n’obtenaient pas satisfaction, ce qui provoquerait la chute du gouvernement.  Raam joue depuis le début  le scénario  de ce que l’on appelle dans le débat démocratique « la tyrannie de la minorité ». Avec quelques postes de députés ce parti a pris en otage le pays pour obtenir satisfactions de ses demandes sectorielles, ethniques, qui n’ont rien à voir avec le bien public. L’aveu de Mansour Abbas donne aux émeutes actuelles une autre ampleur et jettent une lumière inquiétante sur le processus en cours. La « loi de l’électricité » qu’il a faite voter prend soudain un sens supplémentaire. Sa finalité ultime visait à régulariser cette fois ci les  constructions illégales des particuliers de la zone bédouine. Cette démarche pourrait bien s’inscrire, à la lumière des émeutes actuelles dans un projet plus global qui commence avec la loi sur l’électricité pour aller, étape par étape, jusqu’à l’autonomie territoriale … On peut se demander si une nouvelle forme de nationalisme palestinien ne serait pas en train de naître qui irait de pair avec le « ramollissement » de la société israélienne (multiculturalisme, postmodernisme…). Pour en évaluer la possibilité, il faut considérer ce qui se passe depuis la dernière opération à Gaza et la nouvelle stratégie du Hamas d’ouvrir un front intérieur en Israël dans les zones de population arabe et mixte. Ce nationalisme viserait le démembrement de l’Etat du dedans, toujours dans le cadre  formel d’un Etat  qui pourtant perdrait sa gouvernance. Le scénario bédouin pourrait effectivement se reproduire dans les régions de Galilée où il y a une territorialisation de la population arabe et où l’on voit depuis Gaza l’effondrement de la sécurité et la constitution de milices parallèles. Lod, Akko et Yafo, où les voisins arabes se sont retournés contre leurs voisins juifs, montrent aussi que le même danger existe dans les « villes mixtes » (une notion inconnue auparavant. La procédure pour arriver à un tel effet pourrait rester parlementaire et soft, conformément à la méthode des Frères musulmans, jusqu’au moment où le semblant de la couverture de l’Etat ne serait plus nécessaire. Cet Etat dans l’Etat, c’est exactement le régime politique qui a détruit le Liban.
La réponse du gouvernement actuel à ces événements confirme la possibilité d’une telle évolution. Le vice premier ministre, Lapid, a demandé la suspension immédiate de la plantation de la forêt en question afin de négocier un accord. Une autre voix, connue, pour ses jugements hostiles au sionisme, le général de réserve, membre du Meretz, vice ministre de l’économie, Yair Golan, qui venait de traiter les Juifs de Judée Samarie de « sous hommes », est allé en délégation assurer de son soutien les Bédouins et les inciter à tenir bon!

La démission politique et morale du pouvoir est complète.

 

*A partir d’une chronique sur Radio J le jeudi 13 janvier 2022.

Professeur émérite des universités, directeur de Dialogia, fondateur de l'Université populaire du judaïsme et de la revue d'études juives Pardès. Derniers livres parus Le nouvel État juif, Berg international, 2015, L'Odyssée de l'Etre, Hermann Philosophie, 2020; en hébreu HaMedina Hayehudit, Editions Carmel 2020, Haideologia Hashaletet Hahadasha, Hapostmodernizm, Editions Carmel, 2020.