Humanisme dévoyé en antisémitisme juif

L’espèce humaine dans sa diversité

Il en est des hommes comme des sociétés qu’ils forment et vice-versa. Ainsi, une SARL, société à responsabilité limitée, est une « personne morale » aux yeux de l’administration. Morale mais pas responsable, une famille cousine des Responsables-mais-pas-coupables.

Aux yeux de toute personne douée de bon sens, certaines associations qui se disent « humanistes », sont en fait amorales, voire immorales, quand leur « objet social » est la déshumanisation d’une catégorie de leurs semblables, dénaturés en boucs émissaires.

Le bouc émissaire par excellence, celui qui vient à l’esprit dès qu’on en prononce le nom, celui que Le Figaro prend comme exemple dans sa rubrique « langue française », lorsqu’il détaille l’animal sacrificiel, c’est le juif : « l’histoire donnera pour sa part, nombre d’exemples annuels et séculaires du bouc émissaire. On se souviendra notamment de l’épisode de l’accusation d’empoisonnement des puits contre les Juifs ou de l’affaire Dreyfus.[1] »

À force de recevoir un traitement qui le distingue du reste de l’humanité, le peuple juif a enfanté des courants souvent inédits et parfois contradictoires. C’est ainsi que l’État juif est celui qui compte le plus d’ONG au prorata du nombre d’habitants et, à l’inverse, c’est l’un des rares chez qui la haine de soi s’est institutionnalisée au point de constituer plusieurs associations auto-immunes.

L’une d’entre elle, microscopique, mais néanmoins emblématique, est nommée mensongèrement « Union  juive française pour la paix », UJFP pour ses quelques intimes. Mensongèrement, parce que cette association milite pour la disparition de l’État juif, ce qui ne correspond à la définition d’aucune recherche de paix.

 

Pierre Stambul, caricature de juif, à vous rendre antisémite

On lit des interviews de Pierre Stambul sur un certain nombre de sites dédiés à l’antisionisme, à la béatification des Palestiniens ès-qualité, à la déligitimation de l’Histoire, à la sanctification de l’islam et à l’érection de l’islamophobie sur le podium des crimes contre l’humanité (et contre les créatures habitant les galaxies environnantes).

À quel titre, ces interviews et cette complaisance ? Une raison et une seule justifie l’intérêt porté à cet inintéressant tartineur de pâté d’alouette (un cheval de mensonges et d’inventions, une alouette de date historique…) Quelle raison ? Il l’avoue lui-même en toute ingénuité : il est un juif antisémite, pardon un juif anti-État-juif. En tant que tel, il est porte-parole et ex-Président de l’Union de quelques juifs français pour une paix très singulière.

« Ce que nous avons ‘’en plus’’ à l’UJFP, c’est l’impact : dès que sont apparues les banderoles ‘’Juifs et Arabes ensemble contre l’occupation’’ ou même, comme à Paris, ‘’Israéliens contre l’Apartheid’’, il y a eu une grande émotion, un soulagement (‘’tous les Juifs ne sont pas comme le Crif’’).[2] »

Dans la même veine, il explique son ralliement à l’antisémitisme nouvelle norme, alias antisionisme, au moyen d’inventions qui lui obtiendraient un succès mérité comme humoriste. Hélas, c’est de l’humour involontaire : « Le sionisme est au départ une théorie de la séparation et, de ce fait, il est complice de l’antisémitisme, puisqu’il veut séparer les Juifs du reste de l’Humanité. C’est aussi un roman national meurtrier (la fable de l’exil et du retour), un colonialisme de remplacement, un nationalisme qui a inventé le peuple, la langue et la terre et aujourd’hui une idéologie suprématiste qui a arrimé l’Etat d’Israël et ses soutiens à l’impérialisme.[3] »

Le sionisme, ou droit du peuple juif à disposer de lui-même, veut séparer les Juifs du reste de l’humanité, explique-t-il. Soit. Mais c’est une ambition qu’il ne dénie ni aux Libanais (le Liban est une création des Français en 1946), ni à la Syrie ou à la Jordanie (création des Britanniques la même année), encore moins à l’Égypte (devenue indépendante en 1922).

En 1947, deux partitions furent décidées par l’ONU : celle de la Palestine, dont la Grande-Bretagne était mandataire, en un État juif et un État arabe (refusé par ces derniers) et celle de l’Inde entre un État hindouiste (l’Inde) et un État musulman (le Pakistan).

Cette région du monde est toujours agitée de conflits et de terrorisme, mais M. Stambul ne voit probablement pas d’intérêt à y promouvoir la paix. Seul l’intéresse le Moyen-Orient, ou plutôt, au Moyen-Orient, les 20 000 km2 qu’il dénie au peuple juif. Il n’a aucun état d’âme vis-à-vis de l’indépendance du Koweït, intervenue en 1961, de celle de Bahreïn, officialisée en 1970, ou des Émirats Arabes Unis et du Qatar, promulguées en 1971.

Pour l’an-historique Stambul, ces peuples-là ne posent pas problème et même si rien ne les distingue de leurs voisins (langue, religion, culture…), il serait criminel de leur dénier le statut de peuple. Comme il est criminel de le dénier aux Palestiniens qui le revendiquent depuis 1967. En revanche, le peuple juif, le seul qui ait conservé son unité par-delà les exils et les persécutions depuis 3000 ans, celui-là ne mérite, à ses yeux, que les qualificatifs de ‘nationaliste, messianique et colonial’.

 

 Jules est Hercule, Cyprien musicien, moi chuis somnambule et Stambul n’est rien 

De quoi ce fantaisiste historicide est-il le nom ? Quand la question lui est posée, cela donne : « Je suis professeur de mathématiques retraité, issu d’une famille juive athée venue d’un pays disparu (la Bessarabie). Mes parents, communistes dans leur jeunesse, ont été pendant la Seconde guerre mondiale des résistants dans la MOI (Main d’Œuvre Immigrée). Ma mère a été la seule survivante d’une famille exterminée. Mon père, membre du groupe Manouchian, a été déporté à Buchenwald.[4] »

Une réponse comme l’homme, à côté de la plaque, ou plutôt en-dessous d’elle, puisque ne revendiquant rien d’autre que la génération qui l’a précédé.

Tel qu’il est, il leur plaît, il leur fait de l’effet, pas pour ce qu’il est, mais pour ceux qu’il hait.

Sa seule contribution à l’humanité est d’avoir pris sa retraite de prof de maths. Tant mieux pour les élèves. Pour le reste, il n’a rien à offrir d’autre en holocauste que son père résistant et sa mère survivante. Et lui ? Il hait tout ce qui pourrait permettre aux Juifs, dorénavant, de ne pas subir le sort de ses parents.

C’est le prix à payer pour bénéficier, malgré l’insurmontable tare de sa judéité, d’un fan club d’antijuifs, auxquels il fait allégeance par une incontinente fuite en avant dans le déni du réel.

Au sein de sa propre sphère de militantisme qui, outre l’antisionisme, comprend « la tendance syndicaliste révolutionnaire de l’Éducation », le réel a pourtant fait son apparition.

C’est sur un forum anarchiste qu’un internaute a remarqué, en septembre 2013, que Pierre Stambul multipliait les conférences pour expliquer son engagement pour la cause palestinienne en tant que juif, et s’est demandé pourquoi « un communiste libertaire met en avant sa judéité, alors qu’elle devrait être plus que secondaire pour un anarchiste[5]. » Bonne question, dont il a trouvé la réponse plus loin : « l’organisation de Pierre Stambul (UJFP) soutient un certain René Balme, maire Front de Gauche de Grigny, proche de la sphère du PIR et également de Thierry Meyssan, l’ardent défenseur de Khadafi et de Bachar al-Assad ».

Ce que l’internaute avait bien pressenti, c’est que le seul véritable engagement du Stambul est sa haine d’Israël. À ce titre, il est prêt à s’acoquiner avec tout ce que l’éventail politique compte d’antisémites, indépendamment de leur proximité ou de leur distance avec le communisme libertaire dont il se revendique.

 

Décryptage de poncifs antisémites recyclés

Parmi les nombreux poncifs antisionistes fondés sur le mépris de l’histoire en général et des faits et chiffres en particulier, ne retenons que les ferments de son idéologie fantasmatique. C’est tiré d’un texte intitulé « Sionisme et antisémitisme[6] », figurant sur le site de l’association stambulique.

« Cette guerre [israélo-palestinienne] n’est pas une guerre ethnique, communautaire, raciale ou religieuse. Elle porte sur des principes universels. Une idéologie, à la fois nationaliste, ’messianique’ et coloniale (le sionisme) a construit un État qui opprime un peuple par une politique d’Apartheid. (…) mais ce qui reste prépondérant, c’est le soutien de la majorité des Juifs (en Israël ou ailleurs) au projet sioniste. Qu’est-ce qui fait marcher ce soutien ? Une réécriture de l’histoire juive, un travail patient de destruction des identités issues de l’histoire des diasporas. »

Sans remonter au mufti de Jérusalem, qui entretenait des liens étroits avec Hitler et le suppliait de faire appliquer au Moyen-Orient les méthodes qui lui avaient permis de se débarrasser des Juifs en Europe[7], on peut dire que si « cette guerre n’est pas une guerre ethnique » du côté israélien, elle est résolument raciste côté palestinien.

Un exemple particulièrement édifiant est celui d’un étudiant de Jérusalem assassiné en 2005, alors qu’il faisait son jogging. Deux mouvements palestiniens avaient revendiqué l’héroïque fait d’armes. Mauvaise pioche ! Il s’est avéré que l’étudiant n’était pas juif mais Arabe israélien. Les Palestiniens ont alors présenté des excuses à sa famille et conféré à la victime le statut de « martyr ». Si cela ne décrit pas « une guerre ethnique, communautaire, raciale ou religieuse », on serait curieux d’en connaître les définitions stambuliennes…

Parler du sionisme comme d’une idéologie coloniale est une absurdité sémantique et historique. Le colonialisme est, selon la définition du Petit Larousse, « une doctrine qui vise à la légitimation de l’occupation d’un territoire ou d’un État, à sa domination politique et à son exploitation économique par un État étranger ». La seule occupation, domination politique, exploitation économique de la Palestine par un État étranger répondant à cette définition, est celle par l’État turc de 1517 à 1917, jusqu’à l’octroi du mandat britannique.

L’arrivée des Juifs en Palestine n’est en rien assimilable à l’occupation d’un État par un État étranger : des groupes d’individus isolés ont acheté à prix d’or des terrains désertiques ou marécageux pour la seule raison qu’ils se trouvaient sur une terre avec laquelle leur peuple avait entretenu un rapport permanent pendant 2000 ans d’exil. La société des Nations, au moment de l’octroi du mandat britannique sur la Palestine, puis l’ONU quand a été approuvé le plan de partage, ont, l’une et l’autre, clairement reconnu le droit légitime, historique, du peuple juif sur cette terre.

« Les Anglais ne sont pas originaires du Soudan, ni les Français de Tunisie. Mais les Juifs avaient leur histoire, leur langue, leurs aspirations enracinées en Terre Sainte… Leurs charrues, leurs pioches, leurs bulldozers mettaient à jour les vestiges de leur présence passée dans ce pays (…) Les sionistes renouaient avec eux-mêmes. Ils ne venaient ni fonder des comptoirs, ni implanter des fortins en terre étrangère. (…) Ce n’est pas arbitrairement qu’ils appelaient leurs villages et leurs villes Jérusalem, Kiriat Arba, Beit Shean. Ces lieux avaient existé aux temps bibliques, certains comme Jérusalem, sans interruption.[8]»

 

C’est çui qui l’dit qui l’est

Décrire Israël comme un « État qui opprime un peuple par une politique d’Apartheid » est aussi niais que d’en faire un État colonial. Le premier pays au monde où les femmes arabes ont obtenu le droit de vote est Israël. Tous les citoyens israéliens jouissent de droits égaux. Ils ont accès à l’éducation, à la santé, aux prestations sociales, au syndicalisme… Les Arabes israéliens sont représentés par plusieurs partis à la Knesset et certains sont juges à la Cour Suprême. En revanche, ils ne sont pas égaux devant les devoirs, puisque les Arabes ne font leur service militaire que sur la base du volontariat, alors que cette période de trois ans pour les garçons et deux ans pour les filles est obligatoire pour les Juifs. En juin 2021, une liste arabe, Raam, fait partie de la « Coalition pour le changement » qui succède à Netanyahou au gouvernement israélien.

N’étant pas à une contradiction près, Stambul accuse le sionisme d’avoir détruit « des identités issues de l’histoire des diasporas. » Lesquelles ? Celle des Juifs dénaturalisés par Vichy ? Celle des Juifs persécutés et chassés de tous les pays arabes ? Celle des Juifs gardés en otages dans feu l’URSS ? S’il y a une identité que le sionisme a fait disparaître (et c’était bien là son objectif), c’est celle du Juif minoritaire et persécuté pour sa seule identité. La loi du retour, qui garantit la nationalité israélienne à tout Juif qui en fait la demande, a d’ailleurs été établie d’après les critères qu’Hitler appliquait pour déporter les Juifs, notamment la famille de M. Stambul.

La destruction des identités juives n’a pas attendu le sionisme pour se mettre à l’œuvre. Les Romains, les Grecs, les Perses avaient essayé d’éliminer le monothéisme des Juifs, les rois catholiques d’Espagne leur avaient donné le choix entre la conversion et la mort, les Russes pogromisaient les shtetls, les pays musulmans massacraient leurs dhimmis quand la nécessité d’une diversion se faisait jour, Hitler exterminait les Juifs… Et c’est le sionisme que l’UJFP accuse d’être le fossoyeur des identités juives de diaspora ?

La richesse d’Israël provient de la multiplicité de ses cultures fondues dans une identité nationale. Stambul, en compagnie associative de ses comparses, ne veut pas voir Israël tel qu’il est : il a trop besoin du fantasme d’un Israël tel qu’il le hait !

 

Être et ne pas naître Tembel (idiot) mais Stambul (en l’occurrence fou)

L’antisionisme ne se concentre pas sur le judaïsme en tant que religion, ni sur les Juifs en tant que race, mais sur les Juifs en tant que peuple, en tant que nation. Sur les 193 pays membres de l’ONU, le peuple juif est le seul à qui est renié son État, voté il y a 73 ans.

L’important, c’est la chose, et la chose, c’est la détestation de tout ce qui est juif. « Il y a 70 ans, les murs d’Europe étaient couverts de graffitis ‘Les Juifs en Palestine!’ Sur les mêmes murs aujourd’hui, on lit ‘Les Juifs hors de Palestine!’ Ils ne veulent pas que nous soyons là ; ils ne veulent pas que nous soyons ici ; ils ne veulent pas que nous soyons. » (Amos Oz).[9] C’est à cette religion-là qu’adhèrent les antisémites, y compris ceux qui sont juifs.

Il ne s’agit pas de relever tous les mensonges sur lesquels Stambul appuie son anti-État-juifisme, mais de chercher à comprendre ce qui est à l’origine de son positionnement.

Est-ce une rancœur contre l’État qui n’était pas encore là au moment où ses parents en avaient besoin ? Ce serait irrationnel, mais depuis quand l’inconscient est-il rationnel ?

Est-ce la peur de subir le même sort que ses parents, si les Allemands revenaient sous la forme des islamistes ? Cela relèverait d’un aveuglement volontaire, car les nazislamistes sont là, ils gagnent du terrain et ne cachent pas plus leur objectif génocidaire que ne le faisait le grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, quand il suppliait Hitler de venir mettre en pratique la Solution finale au Moyen-Orient. « Ils ont des yeux et ne veulent pas voir ». Vous êtes juif, Jérémie ?

Est-ce la couardise, qui incite le collabo à espérer qu’en aidant les bourreaux de son peuple, il sera épargné comme individu ?

Sa piètre image de soi l’a-t-elle convaincu qu’il n’aurait jamais eu le courage de son père ou la résilience de sa mère et qu’il ne pouvait égaler leur excellence que dans un autre domaine ? Il aurait choisi la lâcheté et l’aurait traduite par une surenchère sur les inquisiteurs du XXIe siècle ?

Une chose est sûre : Stambul et ses semblables, qui se drapent dans la vertueuse certitude de leur humanisme immaculé, commettent un contresens. D’humanisme, il n’est pas question dans leur antisionisme, uniquement de satisfaction d’un narcissisme dévoyé. Ils « transposent en impunité auto-justifiée la compassion spirituelle et humaine. »

 

Pour finir sur une note humoristique teintée de jaune vif, la citation ci-dessus est détournée d’un post réellement publié sur le blog du Responsable mondial de la stratégie et de la recherche en matière de diversité de Google. Sous le titre « Si j’étais juif », cet individu recycle un bon nombre de poncifs antisémites nazis, notamment l’appétit des Israélites pour le sang des petits enfants[10].

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/expressions-francaises/2017/11/14/37003-20171114ARTFIG00005-mais-d-o-vient-le-bouc-emissaire.php

[2] https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Pierre-Stambul-UJFP-Notre-audience-s-accroit

[3] https://www.fnlp.fr/2020/11/16/en-direct-avec-pierre-stambul/

[4] http://ant.ujfp.org/spip.php?article8184

[5] http://forum.anarchiste.free.fr/viewtopic.php?f=12&t=8974

[6] https://ant.ujfp.org/spip.php?article1195&lang=fr

[7] https://www.historia.fr/romans-historiques/les-liaisons-nazies-du-grand-mufti

[8] Paul Giniewski, L’Antisionisme, Ed. Librairie encyclopédique, Bruxelles 1973.

[9] https://www.lexpress.fr/culture/livre/il-n-y-a-qu-une-solution-la-partition_821169.html

[10] https://unitedwithisrael.org/google-diversity-chief-accused-jews-of-insatiable-appetite-for-killing/?

Écrivain, traductrice et essayiste. A publié plus d'une trentaine d'ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient. Liliane Messika est membre du comité de rédaction de Menora.info.