Les interrogations de l’activisme LGBT

Si la société israélienne a sa manière de considérer la communauté gay, celle-ci peine à se définir entre sa nature et sa mission. Ce qui la maintient dans un état de division intérieure et de désarroi politique.

 

En Israël, les homosexuels commencent à s’organiser à partir des années 70. En 1975, est fondée l’Union pour la défense de la vie privée, qui deviendra ensuite l’Union LGBT, la « Aguda ». En 1978, se crée la Communauté lesbienne féministe, « Klaf », dissoute au début des années 2010 pour devenir l’Union lesbienne féministe, « Elef ». Ces deux organisations ouvriront la voie à la formation de nombreuses associations sectorielles, qui vont s’engager dans le débat public, politique et judiciaire pour la promotion et la défense des droits des homosexuels. On peut citer parmi ces initiatives celles de l’Organisation de jeunesse gay, les plateformes de soutien psychologique par téléphone, la Maison Ouverte, destinée spécifiquement à la communauté homosexuelle de Jérusalem. Des structures similaires se sont développées dans d’autres villes, comme Haïfa et Beer Sheva. On recense aujourd’hui une vingtaine d’organisations et associations pour le secteur LGBT en Israël.

L’activisme judiciaire pour les LGBT est mené à la fois par des organisations sectorielles, mais aussi généralistes œuvrant dans le domaine des droits de l’homme, telles que l’Union pour les Droits du citoyen « ACRI ». Dans les domaines parlementaire et extra-parlementaire, il existe également un lobby gay à la Knesset, ainsi qu’une commission pour les droits des LGBT au sein de l’Ordre des Avocats. Certains partis politiques ont leur groupe gay composé de militants ou de députés. Au niveau local, des conseillers municipaux appartenant à la communauté LGBT agissent pour la promotion de leurs droits. A noter que la municipalité de Tel Aviv dispose d’un portefeuille spécifiquement consacré à la communauté LGBT.

Bien que la Aguda reste l’organisation la plus importante, la communauté n’a pas d’instance qui définisse l’ordre du jour et la politique de la communauté. Il faut dire que les approches diffèrent quant à la définition de la communauté gay. Selon qu’elle se détermine par l’identité des individus qui la composent – sexe, genre et orientation sexuelle –  ou par sa mission globale comme plus petit dénominateur commun, sa perception n’est pas la même, que ce soit pour elle-même ou pour ceux qui lui sont extérieurs. Si elle se définit par sa mission, la communauté gay devient alors un groupe d’individus dont l’objectif est de venir à bout d’un dispositif social qui ne reconnait pas ou qui sanctionne ceux qui n’entrent pas dans sa norme.

Cette perception complexe est abordée dans un arrêt rendu en 2010 concernant la Maison Ouverte de Jérusalem, où la Cour Suprême reconnait le principe de l’égalité de la communauté gay et adopte le débat sur les droits LGBT comme l’une des composantes de la démocratie libérale israélienne. Le juriste israélien Eyal Gross évoque à ce propos deux tendances : « l’homo-normativisme »  politique sexuelle néo-libérale qui ne remet pas en question les institutions dominantes et « l’homo-nationalisme », qui instrumentaliserait les homosexuels non plus comme une menace pour l’Etat et sa sécurité, mais au contraire comme une population intégrée et qui permet à l’Etat de se présenter comme plus démocratique et plus tolérant. Ce que les détracteurs de cette tendance appellent le « pinkwashing« .

Pour le Pr. Gross, c’est également l’attaque du Barnoar en 2009 qui a marqué un tournant dans la perception de l’homosexualité dans la société israélienne. Le débat a simultanément évolué vers l’homo-nationalisme, mais aussi vers sa critique, provoquant de profondes divisions chez les activistes LGBT, notamment en accentuant la fragmentation des identités, parmi les groupes qui se sentaient écartés du nouveau consensus.

Le débat actuel dans la communauté LGBT se concentre sur deux formes d’activisme : se limiter aux enjeux directement liés à la communauté, ou briser le système dominant qui maintient les inégalités au lieu de tenter de l’amender. Ce clivage fondamental, ajouté à la diversité des identités à l’intérieur du groupe dont les intérêts spécifiques peuvent d’ailleurs diverger, souligne son hétérogénéité et sa difficulté à former une ligne commune qui la définisse comme un secteur à part entière de la société israélienne.

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.