Israël face à la mosaïque LGBT

Face aux institutions et aux différentes composantes de la société israélienne, l’affirmation de l’homosexualité souligne la fragmentation du groupe LGBT. Quelques exemples.

 

Une brève histoire de reconnaissance

C’est en 1988 que le Parlement israélien abolit l’interdiction des relations homosexuelles, à l’initiative de la députée Shulamit Aloni. Jusque-là, le Buggery Act datant d’Henry VIII et laissé par le Mandat Britannique dans sa version contemporaine, sanctionnait les rapports homosexuels de dix ans d’emprisonnement, bien que la disposition n’ait jamais été appliquée par les tribunaux israéliens.  En 1989 intervient la première jurisprudence qui reconnait l’existence du conjoint homosexuel. Il s’agissait d’un employé d’El Al qui réclamait que son compagnon ait accès aux mêmes avantages que ceux que la compagnie accordait aux conjoints de ses salariés hétérosexuels. La décision est confirmée par la Cour Suprême en 1994. Au cours des années 90, la Knesset votera une série d’amendements et de textes de loi encadrant les droits des homosexuels pour l’égalité à l’embauche, sur le lieu de travail, ainsi que sur la sanction pénale des propos homophobes.

C’est d’ailleurs à partir de cette période que l’homosexualité entre dans le débat public israélien. La première Gay Pride a lieu à Tel Aviv en 1993 et devient officielle et subventionnée par la mairie à partir de 1998. Le thème de l’homosexualité se banalise au point que des séries télévisées populaires incluent des personnages homosexuels qui ne sont plus des caricatures. En 1996, des homosexuels manifestent contre des déclarations homophobes du président de l’Etat Ezer Weizman, qui fera ensuite des excuses publiques. En 2001, Jérusalem organise à son tour sa première Gay Pride, malgré l’opposition de dignitaires religieux juifs, musulmans et chrétiens. La même année, le député du parti Meretz Uzi Even est le premier élu homosexuel déclaré à siéger à la Knesset. Aujourd’hui, le parlement compte plusieurs élus gays et deux ministres homosexuels déclarés siègent au gouvernement.

Tsahal, du tabou à l’inclusion

L’armée a, elle aussi, évolué dans son rapport à l’homosexualité. Dès les premières années de l’Etat, Tsahal a choisi de ne pas appliquer les sanctions pénales sanctionnant les relations homosexuelles. En revanche, le recrutement et la promotion des soldats homosexuels faisaient l’objet de restrictions, l’orientation sexuelle étant considérée comme un risque sécuritaire. C’est en 1993 qu’une directive de l’état-major établit le droit des homosexuels à s’enrôler dans l’armée selon les mêmes critères d’aptitude que les hétérosexuels. En 1996, Tsahal accorde pour la première fois le statut de « veuf de Tsahal » au conjoint d’un officier de carrière homosexuel. En 1998, l’armée renonce à toute directive visant spécifiquement les homosexuels, abolissant ainsi toute distinction fondée sur l’orientation sexuelle. Et au début des années 2000, le chef d’état-major Moshe Yaalon interdit toute forme de discrimination à caractère homophobe au sein de l’armée. En 1999, le premier transgenre est autorisé à servir dans les rangs de Tsahal en tant que femme, mais pas à effectuer l’opération de changement de sexe durant son service. C’est en 2015, que le premier transgenre a été promu au grade d’officier.

Tel Aviv, capitale gay

La métropole côtière est devenue le symbole de la tolérance envers les homosexuels, au point d’être un argument marketing touristique et même de « soft diplomacy » pour l’Etat d’Israël. La Gay Pride annuelle, les restaurants, les bars et les discothèques, les événements sociaux ou culturels spécifiquement conçus pour la communauté LGBT sont promus pour présenter Israël comme une société libérale et progressiste. La municipalité de Tel Aviv présente sa population comme composée à 25% de gays. En 2018, elle affirmait consacrer 1 million de dollars de son budget annuel à des investissements destinés à la communauté LGBT. Il existe également un centre municipal pour la communauté LGBT, qui propose des activités culturelles et de l’aide sociale.

Les LGBT religieux

Les homosexuels dans le monde religieux connaissent les mêmes difficultés que ceux du monde séculier, doublées de la conscience que leur identité se heurte aux règles et à la tradition du judaïsme et à l’interdit des relations entre individus de même sexe. Ce double handicap les a longtemps maintenus dans l’isolement et le silence. Ils ne pouvaient envisager que le renoncement à leur tradition ou à leur identité, soit par choix personnel, soit par le recours à la thérapie de conversion, souvent sous l’effet de la pression familiale ou sociale. Depuis une quinzaine d’années toutefois, la perception a évolué. Des homosexuels du courant religieux sioniste ont commencé à affirmer leur identité. Des organisations se sont constituées pour former la Communauté Religieuse Gay (Kehila Datit Gea) et développer la communication vers le monde religieux, notamment dans le système éducatif à travers l’association Shaval. Le travail associatif se concentre sur le soutien psychologique des jeunes homosexuels, mais aussi vers leurs familles.

A Tel Aviv, mais aussi à Jérusalem, les LGBT religieux ont créé des structures qui leur permettent de poursuivre leur pratique religieuse sans renoncer à leur identité, notamment avec des « mynian gay » pour la prière collective, ou des événements communautaires calqués sur le calendrier religieux, pour promouvoir la tolérance.

L’activisme des religieux gay s’adresse aussi au monde rabbinique, afin de faire reconnaitre leur différence et d’éviter l’exclusion et le rejet. Face au phénomène, les rabbins ne répondent pas d’une seule voix. L’homosexualité est encore largement perçue comme une pathologie, ce qui permet de ne pas la condamner moralement.

D’ailleurs, contrairement à ce qui se passe dans le monde gay laïc, les LGBT religieux recherchent plus l’acceptation par leur communauté d’origine que la remise en question de ses fondements.

Pour ce qui concerne le monde ultra-orthodoxe, le rejet de l’homosexualité reste la norme. Et l’affirmation de l’identité homosexuelle ne peut se réaliser que par la rupture avec la communauté.

Les Arabes, le choix entre deux exclusions

L’homosexualité reste taboue dans la société arabe israélienne, en particulier chez les musulmans. Quand les jeunes prennent conscience de leur orientation sexuelle, ils ont le choix entre le silence et la rupture, car le dévoilement public entraine dans la quasi-totalité des cas le rejet par la famille et la communauté. Ceux qui sont exclus ou s’excluent d’eux-mêmes quittent leur milieu pour aller vivre dans une grande agglomération juive, le plus souvent à Tel Aviv. Il existe des associations arabes LGBT et les principales associations juives ont développé un département destiné au secteur arabe. Leur activité se concentre surtout sur l’aide et l’accueil des jeunes qui se retrouvent coupés de leur famille. En revanche, leur action publique auprès des cadres, des élus ou des enseignants de la société arabe, en vue de lutter contre l’homophobie se heurte au refus d’entendre ou de communiquer sur l’homosexualité ou les violences faites aux homosexuels.

Le problème est encore plus aigu dans la société palestinienne, où les homosexuels restent ostracisés, voire menacés de mort. Ceux qui peuvent fuir en Israël parviennent pour certains à obtenir un statut de réfugié, tandis que d’autres restent en situation illégale et risquent l’expulsion vers les territoires palestiniens.

Pour les Arabes israéliens comme pour les Palestiniens homosexuels, le problème est double de l’affirmation d’une identité sexuelle minoritaire et de l’appartenance à une minorité nationale qui les exclut de son sein. En 2019, l’agression au couteau d’une jeune Arabe homosexuel devant le bureau d’une association LGBT à Jaffa, avait permis de découvrir le phénomène de l’homophobie dans la société arabe. D’autant qu’aucun député ni responsable politique arabe israélien n’avait voulu condamner publiquement l’agression.

 

 

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.