Chrétienté et Israël : idéologie et géopolitique

Les relations entre Israël et les communautés chrétiennes sont complexes, dans la mesure où elles mêlent politique et religion dans une diplomatie très particulière. Quelques exemples.

 

Les relations avec le Vatican

L’Etat d’Israël et le Saint-Siège ont officiellement établi des relations diplomatiques en 1993. Cela a été l’aboutissement d’un long et délicat processus de négociations entre deux entités étatiques qui ont pour particularité leur dimension identitaire religieuse. Le Vatican a d’ailleurs préféré attendre la signature des Accords d’Oslo entre Israël et l’OLP en septembre 1993, avant de reconnaitre formellement Israël, deux mois plus tard. Même si l’Eglise catholique a évolué depuis le pape Jean XXIII et renoncé à se présenter comme le « Vrai Israël », elle reste encore attachée au règlement du conflit israélo-palestinien, comme préalable à une réconciliation totale, qui lui garantirait aussi un statut reconnu sur ses lieux saints, en particulier à Jérusalem.

Les relations entre Israël et le Vatican restent d’ailleurs délicates. Fin 2017, le pape François s’était prononcé contre la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem, capitale d’Israël. Le chef de l’Eglise catholique l’avait qualifiée de « dangereuse pour la paix au Proche-Orient ».

L’Eglise propriétaire

L’Eglise grecque orthodoxe est l’un des plus gros propriétaires fonciers de Jérusalem. En 2017, la vente à des investisseurs privés de 50 hectares qu’elle détenait en centre-ville avait fait scandale. Depuis le début des années 50, ces parcelles, situées principalement dans les quartiers de Rehavia et Talbiyeh,  avaient été données à bail pour 99 ans au KKL, qui les faisait gérer par l’Administration foncière d’Israël, en échange d’un loyer versé à l’Eglise. Ceux qui achetaient un appartement sur ces parcelles n’étaient donc pas propriétaires, mais locataires pour la durée du bail. Des baux sont déjà arrivés à expiration, d’autres vont suivre au cours des prochaines années, sans qu’une solution ait encore été trouvée pour garantir les droits des résidents. La question d’une expropriation des terres de l’Eglise par l’Etat d’Israël a été envisagée, mais n’a pas été suivie d’effet.

Les églises évangéliques

Il s’agit d’une véritable constellation de courants différents, dont certains sont plus fondamentalistes que d’autres. Pour celles qui sont considérées comme les meilleurs alliés d’Israël, leur soutien n’est pas désintéressé. Certaines de ces congrégations sont actives dans l’encouragement à l’alyah, financent des œuvres charitables en Israël et appuient aux Etats-Unis la politique pro-israélienne. Ces communautés croient à la parousie. Pour elles, l’avènement du Messie, c’est-à-dire le retour du Christ, ne peut se réaliser que lorsque tout le peuple juif aura regagné la terre d’Israël et aura ensuite admis qu’il est le seul et vrai Messie. Seuls seront sauvés ce qui auront fait acte d’allégeance, tandis que les autres, Juifs ou Gentils seront abandonnés.

En mai 2018, lors de la cérémonie d’inauguration de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, figurait parmi les invités le pasteur baptiste Robert Jeffress, un des directeurs de conscience du président Trump. Prédicateur suivi par des millions d’adeptes, il fait partie du courant qui soutient le retour du peuple juif en Israël, mais avertit qu’il devra ensuite se convertir au christianisme, ou « brûler en enfer », s’il ne reconnait pas le Christ comme le Messie. Ses sermons sont considérés comme particulièrement fanatiques.

L’Etat d’Israël entretient des relations étroites avec ces communautés américaines, qui représentent une base de soutien politique et font contrepoids à d’autres églises américaines elles aussi issues du rite protestant, mais souvent anti-israéliennes.

Sabeel et la « théologie de la libération »

Fondé en 1989 à Jérusalem par un prêtre anglican palestinien, le Centre œcuménique de théologie de la libération affirme que les Palestiniens représentent la version moderne de la souffrance du Christ et accuse Israël de « crucifier » les Palestiniens. Il rejette toute lecture de la Bible qui reconnaitrait au peuple juif une légitimité sur la terre d’Israël. Sabeel accuse aussi les chrétiens sionistes de soutenir une idéologie nationaliste fondée sur une lecture erronée des textes, puisque les Palestiniens sont les seuls légitimes en Terre Sainte. Reprenant tous les concepts de l’antisémitisme chrétien historique sur le peuple juif déicide, il les applique à l’Etat d’Israël.

Sabeel bénéficie du soutien de nombreuses églises à travers le monde, notamment de l’Eglise Presbytérienne américaine, qui mènent des campagnes de délégitimation d’Israël, telles que le BDS – Boycott, Désinvestissement, Sanctions. L’idéologie véhiculée par l’organisation palestinienne est clairement celle d’un refus de l’existence de l’Etat d’Israël, « régime d’apartheid », au profit d’un Etat « binational et tri-religieux ».

Sabeel fait partie des initiateurs du Document Kairos Palestine, rédigé en 2009 et signé par les représentants de treize communautés chrétiennes, dont le Custode de Terre Sainte, Mgr. Pizzaballa, aujourd’hui administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem. Le document présente « l’occupation israélienne comme un péché contre Dieu et contre l’humanité » et justifie la « résistance palestinienne ». L’occupation israélienne n’y est d’ailleurs pas géographiquement délimitée, permettant ainsi au lecteur d’y voir l’existence même de l’Etat d’Israël comme illégitime.

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.