« Il y a une communauté LGBT, parce qu’il y a un combat commun contre un modèle hétérosexuel dominant »

Hagaï Kalaï est avocat. Spécialisé dans les droits civiques, il milite aussi pour la reconnaissance des droits LGBT. Il considère que la communauté gay en Israël a déjà accompli un long parcours de reconnaissance juridique et sociétal.

Propos recueillis par Pascale Zonszain

 

Menora.info : quels sont les sujets sur lesquels se concentre l’activisme public de la communauté LGBT en Israël ?

Hagaï Kalaï : Les principaux thèmes à l’ordre du jour sont la parenté et la famille, la reconnaissance de la famille homoparentale. De nombreuses initiatives sont en cours devant les juridictions israéliennes, comme par exemple à propos de la loi sur la gestation pour autrui [Me Kalaï représentait un des requérants dans l’arrêt rendu par la Cour Suprême en février dernier, NDLR]. Un autre sujet à l’ordre du jour est celui de la reconnaissance de deux mères sans recours à une procédure judiciaire. A ce jour, la conjointe lesbienne de la mère biologique doit présenter une demande en justice pour obtenir le statut de parent. Nous espérons que cette reconnaissance pourra bientôt être automatique, comme pour les couples hétérosexuels. Il y a également la question des parents transgenre qui ont donné naissance à des enfants, pour qu’un transgenre masculin ne soit pas enregistré rétroactivement comme la mère.

Outre les questions de filiation, y a-t-il d’autres priorités pour la communauté LGBT ?

Oui bien sûr, et en particulier celle des thérapies de conversion. Je pense que ce sera d’ailleurs un des sujets prioritaires dans les années qui viennent. Il existe déjà des recommandations du corps médical de ne plus avoir recours à la thérapie de conversion, car elle entraine des dommages, et pourtant la pratique n’est toujours pas interdite par la loi. De même qu’il n’y a pas encore de jurisprudence qui établisse que ce type de traitement est nocif. Je pense que nous verrons à l’avenir des actions en justice de victimes de thérapies de conversion qui réclameront des dommages intérêts pour le préjudice subi.

Pourquoi cela ne s’est pas encore produit ?

Parce que les thérapies de conversion touchent surtout des populations qui n’acceptent pas l’homosexualité. Cela doit donc passer d’abord par une prise de conscience d’individus pour qui il est plus difficile de protester, de par l’influence de leur milieu. Mais je pense que cela va évoluer.

L’action publique ne se porte que sur des sujets touchant à l’individu et à son statut personnel ?

Non. Il y a par exemple un débat sur la reconnaissance des réfugiés LGBT et notamment des Palestiniens LGBT, qui occupe aujourd’hui ceux qui militent pour la communauté.

La communauté LGBT se concentre donc sur la reconnaissance de ses droits. Mais il s’agit d’une communauté composée de sous-groupes différents, dont les intérêts ne concordent pas nécessairement. Quel est le facteur qui en fait une communauté ?

Il est vrai qu’il s’agit d’individualités, de thématiques diverses et variées. Ce qui en constitue la « racine du mal » ou le point commun, c’est la conception qu’un individu né d’un sexe donné, doit se comporter d’une manière donnée, aimer des gens donnés et que toute dérive de ce modèle est perçue comme négative ou entraine des sanctions. Tous ces problèmes vont affecter différents aspects de la vie. Il faut notamment évoquer la discrimination, la violence contre les transgenres en particulier et les homosexuels en général. Mais tout cela part du même point d’origine. C’est pourquoi je pense qu’il s’agit bien d’une communauté, car il y a un combat commun à des centaines de milliers d’individus contre un modèle qui présente les hétérosexuels comme meilleurs.

Comment considérez-vous le rapport de la société israélienne à la communauté LGBT ? Est-il en voie d’amélioration ?

Je pense qu’Israël, d’une manière générale, est dans une bonne situation pour ce qui concerne les droits des LGBT. Au cours des vingt dernières années, la perception a changé du tout au tout. Même dans les segments les plus conservateurs de la société israélienne, on reconnait l’existence de la communauté LGBT, de l’identité sexuelle, de l’identité de genre, même s’ils ne l’acceptent pas. Cela dit, il y reste beaucoup à faire. Il existe encore à la Knesset des partis homophobes déclarés, il y a encore un conservatisme fort. Mais je pense que la situation s’est globalement améliorée.

Considérez-vous qu’il existe en Israël une opposition organisée contre les droits des LGBT comme le mouvement de la « Manif pour tous » en France, qui s’était structuré contre le mariage homosexuel ?

Je pense qu’aujourd’hui en Israël, l’essentiel de l’opposition vient de courants conservateurs religieux. Ces groupes sont unis autour d’une certaine conception plus large qui touche aux rapports entre la religion et l’Etat, mais je ne vois pas de véritable alliance de groupes conservateurs qui œuvreraient ensemble contre la communauté gay. Même s’il est vrai qu’une partie de la société israélienne est effectivement conservatrice.

Cela donne une meilleure position à la communauté gay en Israël ?

Je ne suis pas vraiment en mesure de comparer avec ce qui se passe en France. Mais je peux dire qu’en ce qui concerne la reconnaissance des droits de la parenté et de la famille, Israël est en avance de plusieurs années-lumière par rapport à ce qui se pratique dans d’autres pays, en particulier pour le don de sperme ou la GPA, qui n’est toujours pas reconnue en France, alors qu’elle est en passe de l’être en Israël pour les couples homosexuels. Israël reconnait aussi les enfants nés à l’étranger par GPA. C’est une avancée importante par rapport à la France. Mais dans le même temps, Israël ne reconnait pas le mariage homosexuel, contrairement à la France.

La question non encore réglée des relations entre la religion et l’Etat est-elle aussi un facteur freinant pour la reconnaissance des droits LGBT ?

Sans aucun doute. C’est là encore l’influence des milieux religieux plus conservateurs et pourtant la réalité évolue. Il y a aujourd’hui six députés homosexuels déclarés qui siègent à la Knesset, dont deux sont ministres, un président de commission parlementaire et un à la tête d’un parti d’opposition. On n’aurait pu imaginer cela il y a encore dix ans ! Et ces députés sont à droite comme à gauche de l’échiquier politique. Je crois que c’est l’indicateur d’un changement profond dans la société israélienne, bien au-delà de Tel Aviv ou de certaines élites. Il n’y a pas encore de juge gay à la Cour Suprême, mais cela aussi peut venir.

Avocat israélien, spécialiste des droits civiques. Il a notamment été le conseiller juridique de la Aguda lemaan Halaatabim, l'Union pour les LGBT, principale organisation de la communauté gay. Il représente régulièrement des requérants devant la Cour Suprême pour la reconnaissance des droits LGBT en matière de famille et de filiation.