La défaillance du monde juif face à l’accusation d' »apartheid »

La faute fondamentale du leadership israélien de l’époque de l’Indépendance

 L’occultation par le leadership israélien de l’expulsion et de l’immigration en masse en Israël des Juifs du monde arabe, au lendemain même de la Guerre d’indépendance, est la source de l’accusation d’apartheid à l’encontre d’Israël. 600 000 Juifs, originaires d’une douzaine de pays arabo-islamiques s’installèrent en Israël dont ils devinrent le socle démographique, alors que 300 000 des expulsés s’installaient en Occident. Il y a eu là une épuration ethnique objective, globale (900 000 Juifs) et propre au monde arabe, à l’âge de la constitution des Etats post coloniaux dans une perspective où l’islam et le nationalisme se mêlaient pour fixer le statut des minorités non musulmanes qui avaient gouté à la liberté apportée par les pouvoirs coloniaux qui les avaient libérés de la condition de dhimmi.  Ceux sont ces mêmes Etats arabes qui déclarèrent une guerre d’extermination contre le nouvel Etat juif.

Le leadership israélien a opté pour l’institutionnalisation d’une version « universelle » de la Shoah, qui laissait dans l’ombre sa portée politique évidente: le destin de 6 millions de Juifs était avant tout le destin d’un peuple, un destin politique, et pas seulement le destin de l’humanité, un destin « moral ». Ce destin est inséparable de celui des Juifs du monde arabe qui a vu, dès le lendemain de la guerre, une douzaine de communautés juives très anciennes, éradiquées totalement du monde arabe. Deux destins collectifs, massifs, qui concernent le peuple juif dans ses deux dimensions, destin éminemment politique tel qu’il se concrétisa avec la création de l’Etat d’Israël, toujours menacé aujourd’hui, notons-le, de destruction par l’islam iranien et quelques autres pays arabes. Le destin du monde sépharade avait pourtant une caractéristique : ils constituaient une population locale, interne au monde arabe et pas européenne, prétendument étrangère à la région. Il s’est donc produit un échange de populations comme ce fut courant au lendemain de la deuxième guerre mondiale. En fait d' »apartheid », l’épuration ethnique est du côté du monde arabe, les réfugiés palestiniens sont la conséquence de l’échec d’une tentative d’extermination des Juifs dans le nouvel Etat d’Israël, à laquelle ils s’étaient joints. Le mythe de la Nakba est la couverture de la défaite de puissances agressives et exterminatrices.

L’occultation par le leadership sioniste de la liquidation du monde sépharade ne fut pas seulement l’occultation d’une réalité historique évidente, de la souffrance de cette population, de sa revendication sur le plan international des spoliations subies, de la proclamation de son droit à l’autodétermination Israël même face à la domination de l’Etat arabo-islamique, mais aussi l’occultation de sa dimension nationale juive et politique. Le repli de 600 000 Juifs dans le nouvel Etat d’Israël ne fut pas l’expression d’un folklore messianique, selon l’idée stupide courante, mais un acte politique puissant et affirmatif face au nationalisme arabe xénophobe qui concerne l’entièreté de la population israélienne où ces Juifs sont majoritaires.

 

Encore aujourd’hui

Dans le leadership israélien, notamment de gauche (un pléonasme?) une nouvelle attitude post moderniste vient de voir le jour qui, dans la lutte contre l’antisémitisme fait l’impasse sur le peuple juif, tout comme les postmodernistes le font sur la nation. C’est le degré zéro de la compréhension de l’antisémitisme qui s’installe. L’objet même de l’antisémitisme, soit le ciblage des Juifs comme peuple, alors qu’ils sont censés n’être que des individus, est dénié de sorte qu’on ne comprend plus pourquoi il se manifeste si ce n’est une haine purement émotionnelle.

C’est encore plus grave quand c’est un ministre israélien qui le dit, ministre des affaires étrangères actuel, Yair Lapid, et aussi vice premier ministre du gouvernement Bennet, car le peuple en question est une « nation », devenue l’objet de l’antisionisme, nouvelle forme, à l’âge d’un Etat juif. Je fais référence à un discours de Yair Lapid au 7ème colloque du Forum Global de lutte contre l’antisémitisme, le 15 juillet 2021, dont il publie un extrait sur son Facebook.

« Le temps est venu de raconter la véritable histoire des antisémites. Le temps est venu que nous disions au monde devant quoi nous nous nous tenons. Les antisémites n’étaient pas seulement dans le ghetto de Budapest. Ce sont les trafiquants d’esclaves qui jettent par-dessus bord dans l’océan les esclaves ligotés dans des chaines. Les antisémites, ce sont les fils de la tribu Houtou qui massacrent les membres de la tribu Tutsi. Les antisémites ce sont les extrémistes musulmans qui tuent et qui ont tué dans la dernière décennie plus de 20 millions d’autres musulmans. Les antisémites, ce sont Daesh et Boko haram. Les antisémites, ce sont ceux qui battent à mort les jeunes de la communauté LGBT. Les antisémites, ce sont ceux qui persécutent les gens non pas pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont ou parce qu’ils sont nés quelque part. L’antisémitisme ne désigne pas la haine dans son nom particulier. C’est son nom de famille. Les antisémites, ce sont tous ceux qui sont si pleins de haine qu’ils veulent assassiner, détruire, persécuter, exclure des gens simplement parce qu’ils sont différents d’eux.

L’antisémitisme moderne, avec lequel nous nous mesurons, il y en a partout. Pour lutter contre lui, nous devons nous allier, enrôler tous ceux qui pensent qu’il est interdit de persécuter »

Décidément, Yair Lapid ne comprend rien à l’histoire juive. Plus grave: il fait l’impasse sur la spécificité du peuple juif, et donc en l’occurrence d’Israël, condition de base pour avoir une vue stratégique sur la situation et donc comprendre à quoi on a affaire, notamment en matière d’accusation d' »apartheid ». Avec de piètres guides de cet acabit, nous sommes en route pour l’échec.

 

« Une discrimination organique »

Le jour même du discours de Lapid, le ministre de la sécurité intérieure, le travailliste Omer Bar-Lev, présentant, le 14 juillet, à  Nazareth son plan de lutte contre la violence en milieu arabe réitère comme il avait fait quelques jours auparavant devant la Knesset, que cette violence inter-arabe ( plusieurs dizaines de meurtres chaque année) découle non pas d’une violence endémique et tribale autant que mafieuse  inter-arabe mais de l’inégalité et la discrimination dont serait victime le secteur arabe dans l’Etat d’Israël : « Depuis la création de l’Etat d’Israël, il règne une inégalité organique entre le secteur juif et le secteur arabe, et ce fossé s’est agrandi avec les années, en d’autres mots : une discrimination ».

Donc, un ministre israélien déclare qu’il y aurait en Israël une discrimination organique… (source Shraga Blum, LPH, 16 juillet 2021).

 

Le discours médiatique

Il y aurait lieu de faire une étude sur le discours médiatique de toutes les chaînes de télévision israéliennes, en premier lieu de la chaîne nationale (Kan, la 11), sur le thème de la figure des Arabes israéliens et des rapports judéo-arabes en Israël même. On y retrouve le même biais qu’en Occident, favorable de principe à la population arabe, la justification de ses revendications sur fond d’identité victimaire et donc supposée plus « morale », la déresponsabilisation de ses actes, l’accusation diffuse de la partie juive, affublée des pires qualificatifs (« fasciste », « terrorisme », etc), et quand c’est impossible la tentative de faire équilibre entre extrémistes Juifs et Arabes. Depuis les pogromes de Lod, cette évolution est très marquée et donne lieu tous les soirs à des séances d' »endoctrinement » et à une affirmation sous-jacente mais universelle (spots publicitaires à l’appui) qu’Israël est un Etat bi-national.

  

La diaspora: le cas du judaïsme américain dévoilé par un sondage récent[1]

 Les résultats de ce sondage sont très éclairants et riches d’analyse. Nous observons que sur le plan de la lutte contre l’accusation d' »apartheid », il y a un front intérieur qui relaie cette accusation et donc aux yeux du monde l’accréditent. Il y a là un trait permanent dans l’histoire juive, que certains ont qualifié de « haine de soi » et que nous avons défini dans un numéro entier de Controverses comme « les Alterjuifs », depuis la deuxième intifada jusqu’aux « postsionistes » israéliens; ce n’est pas ici le lieu de l’analyser en profondeur. Remarquons deux constats. D’un côté, le profil de « gauche » de cette attitude qui a un train de retard et n’a pas compris que l’essentiel de la menace antijuive vient de la gauche dite « progressiste » et post moderniste. De l’autre la raison profonde de cette attitude: les Juifs américains se sont crus très puissants, très « moraux » (voir ce que le judaïsme libéral a fait du concept de Tikkun Olam), leur problème, c’est qu’ils sont plus que gênés par le fait qu’il existe une nationalité israélienne, un Etat juif, une nation qui les gênent dans supposée respectabilité américaine, dans leur fidélité à la nation américaine. L’existence simple d’Israël les empêchent d’achever leur disparition dans la société américaine (mais attention à un moment ou les BLM et les Cancels sont sur le point de la renverser!). Pas étonnant qu’un Etat national israélien soit perçu comme un « apartheid », un fascisme…

                                 

  Le sondage

 25 % des électeurs juifs américains pensent qu’Israël est un État d’apartheid.

L’accusation d’apartheid est-elle antisémite?

Sur les 52 % de personnes qui n’étaient pas d’accord avec l’accusation d’apartheid

– 28 % pensent que c’était antisémite,

– 24 % pensent que c’était antisémite.

 Les Palestiniens souffrent du racisme en Israël

– 34 % Le traitement des Palestiniens par Israël est similaire au racisme aux États-Unis

-20 % estiment qu’une telle accusation est antisémite

Israël commet un génocide

 -22 : Israël commet un génocide sur les Palestiniens

– 31 % les considèrent comme cette accusation comme antisémite

Israël a-t-il le droit d’exister?

-9% non

-67 % estiment que cette question est antisémite

-62 % déclarent avoir un attachement émotionnel à Israël

La crainte de l’antisémitisme

– 61 % :venant de la droite

-22%, venant de la gauche

-12%  venant de la gauche et de la droite

Pro Biden

-80%  approuvent le mandat Biden

-74 %, approuvent sa gestion du conflit

-64 % approuvent sa lutte contre l’antisémitisme vs Trump

-63%  approuvent sa gestion du conflit israélo arabe  mieux que Trump

 

 

[1] Une étude récemment publiée par le Jewish Electorate Institute

https://www.jns.org/poll-25-percent-of-american-jewish-voters-believe-israel-is-an-apartheid-state/

Professeur émérite des universités, directeur de Dialogia, fondateur de l'Université populaire du judaïsme et de la revue d'études juives Pardès. Derniers livres parus Le nouvel État juif, Berg international, 2015, L'Odyssée de l'Etre, Hermann Philosophie, 2020; en hébreu HaMedina Hayehudit, Editions Carmel 2020, Haideologia Hashaletet Hahadasha, Hapostmodernizm, Editions Carmel, 2020.