« Israël n’est pas une république bananière. Dans une démocratie, le changement de direction politique passe par des élections »

Le directeur du Centre Religion, Nation et Etat à l’IDI, l’Institut pour la Démocratie Israélienne observe le mouvement de contestation de ces derniers mois. Il y voit une expression légitime de la démocratie israélienne, mais aussi les limites qu’elle ne doit pas dépasser.

Propos recueillis par Pascale Zonszain

Menora.info : Que dit la contestation Balfour de l’état de la société et de la démocratie israéliennes ?

Shuki Friedman : Il y a d’abord une critique du Premier ministre, qui avait commencé avant la campagne actuelle. S’y est ajouté la contestation liée à la crise du Covid. Ce qui s’exprime c’est aussi l’inquiétude d’une atteinte à la solidarité israélienne. Les manifestations ont commencé rue Balfour, puis à Tel Aviv et en d’autres points du pays, dans certains cas en contradiction avec les consignes sanitaires de distanciation sociale.

Cela signifie-t-il un affaiblissement de la société ?

J’ai une réelle admiration pour les manifestants, qui sont déterminés à descendre dans la rue chaque semaine et parfois plus pour exprimer leur souffrance. Cela veut dire qu’ils se sentent concernés par ce qui se passe. Ce sont des gens bien. Cela dit, cette contestation n’est pas homogène. Elle est composée de groupes différents qui expriment chacun leurs revendications. Ce n’est donc pas un signe de faiblesse, mais plutôt celui d’une démocratie vibrante.

Justement parce que cette contestation est tellement diverse, pensez-vous qu’elle parvienne à terme à pousser Benyamin Netanyahou à la démission ?

Je ne crois pas que ce soit le rôle des manifestations de pousser le Premier ministre à la démission. Dans un régime démocratique, le changement de direction politique doit passer par des élections. Et même si le mouvement de contestation actuel est très déterminé, je ne crois pas qu’il soit très important en nombre de participants. Si l’on parlait d’un million de personnes dans les rues, nul doute que cela aurait un impact plus fort. Si le mouvement se poursuit à son niveau actuel, je ne pense pas que cela suffise à convaincre Netanyahou de démissionner, même si cela influe sur le climat public en Israël et à la façon dont l’opinion considère le gouvernement, y compris chez ceux qui ne descendent pas dans la rue. Ce genre de mouvement de contestation a toujours une influence.

Où sont les partis politiques ? On ne les voit pas vraiment dans ces manifestations.

Ce n’est pas tout à fait exact. Des élus tels que Yaïr Lapid, Ofer Shelah ou Moshe Yaalon [députés du parti d’opposition centriste Yesh Atid, NDLR] ou des députés d’Israël Beitenou [parti d’Avigdor Lieberman] s’associent à la contestation, même s’ils ne la conduisent pas. Car ce mouvement ne se définit pas comme politique, dans le sens où il n’est pas initié par les partis politiques. Même si les députés d’opposition se solidarisent et participent à certains rassemblements, ce sont les groupes de contestation qui ne veulent pas que les partis politiques récupèrent le mouvement. Ils veulent garder la maitrise d’une contestation populaire. Ils veulent montrer que c’est le peuple qui veut un changement du pouvoir et pas les politiciens. C’est leur choix stratégique de ne pas laisser les représentants de la classe politique en première ligne.

Qu’est-ce que cette contestation a de spécifique, comparé par exemple à celle de 2011 ?

La contestation de 2011 était plus sociale que politique, même si elle était dirigée en partie contre les représentants politiques. Le mouvement de 2011 était aussi beaucoup plus important en termes de participants. Il était axé sur le coût de la vie et visait donc l’ensemble de la classe politique, comme un appel aussi bien à la majorité qu’à l’opposition, à réformer leur conception sociale. En 2020, la contestation a un caractère beaucoup plus politique. Ceux qui y participent sont majoritairement à gauche et au centre et veulent un changement de Premier ministre. C’est lié à sa mise en examen pour corruption, mais c’est aussi une démarche complètement dictée par des considérations politiques.

Vous pensez qu’un gouvernement doit être remplacé par les urnes et pas par la rue ?

Nous ne sommes pas une république bananière. Nous avons dans ce pays une démocratie forte et stable. Même si lors des élections nous ne savons pas toujours décider, c’est bien dans le cadre des élections que doit s’opérer le changement. Si nous devions en arriver à ce que le choix du gouvernement soit dicté par la rue, cela nous ferait ressembler à d’autres pays de la région. Et ce n’est vraiment pas le modèle que nous voulons suivre.

Qu’est-ce que cette contestation 2020 laissera derrière elle ?

Il faut reconnaitre à ce mouvement sa force de détermination. Continuer, ne pas renoncer jusqu’à ce que Benyamin Netanyahou soit remplacé à la tête du gouvernement. Il s’agit de gens sincèrement préoccupés par l’avenir du pays et de ses valeurs. De ce point de vue, cela renforce à mon avis Israël en tant que démocratie.

Cette contestation a-t-elle rayonné jusqu’à la périphérie, ou est-elle restée celle du centre d’Israël ?

Je n’ai pas l’impression que ce mouvement de protestation jusqu’à présent, ait réellement dépassé le centre pour pénétrer la périphérie géographique et sociale d’Israël. Mais cela peut encore évoluer.

Directeur du Centre Religion, Nation et Etat à l'IDI, l'Institut pour la Démocratie Israélienne, maitre de conférences en droit public à l'Institut Académique Peres. Auteur de nombreux articles sur la démocratie israélienne et la contestation 2020.