« Le sionisme n’est pas une révolution. C’est une renaissance »

Le doyen du Tikvah Fund et directeur de l’Institut Argaman est aux avant-postes de la diffusion de la pensée conservatrice en Israël. Et pour Ronen Shoval, le sionisme s’inscrit d’abord dans la continuité historique du peuple juif.

Propos recueillis par Pascale Zonszain

Menora.info : Quel est le rôle de Tikvah Fund ?

Ronen Shoval : Keren Tikvah (Fondation Espoir) travaille à la promotion de valeurs conservatrices dans la société israélienne. Cela s’exprime sur deux axes principaux : le développement des idées et ensuite leur organisation. Nous mettons notamment l’accent sur la recherche, l’élaboration des idées, de la philosophie politique, la définition d’une politique à laquelle il faudrait réfléchir. Et il y a aussi l’aspect éducatif et de diffusion de ces idées. Nous avons par exemple la revue Hashiloah, qui est le lieu où les intellectuels peuvent développer leurs idées dans des articles de fond. Nous avons des séminaires dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales, destinés aux étudiants depuis le premier cycle jusqu’au doctorat, dans le cadre de l’institut Argaman que nous avons fondé. Nous y encourageons la réflexion sur les moyens d’améliorer l’Etat d’Israël et son avenir.

Quelle est la contribution de la Fondation Tikvah au débat public israélien ?

La Fondation est déjà présente depuis plusieurs années, à travers la création de diverses institutions comme le Centre Shalem ou Beit Avi Chaï, qui influent aussi bien sur le monde universitaire que sur celui de la culture. Nous sommes également présents dans l’édition, ce qui permet la diffusion de la pensée politique vers le public israélien et aussi d’être une alternative à la pensée post-moderne largement diffusée en Israël depuis une trentaine d’années. Nous nous adressons d’ailleurs à différents publics, que ce soit celui des étudiants ou celui des ultra-orthodoxes.

Vous percevez une influence et une pénétration des idées conservatrices dans la société israélienne ?

Absolument. Nous la percevons dans tout ce qui a trait au concept de liberté, à celui de l’économie de marché,  à la sécurité nationale, ou à la responsabilité collective. Il y a de nombreux domaines dans lesquels nous travaillons à développer la diffusion des valeurs conservatrices. Nous commençons d’ailleurs à en mesurer l’impact, comme lors du premier Congrès conservateur en Israël que nous avions organisé en 2019 et auquel ont participé des milliers de personnes. Je pense que dans une certaine mesure, c’est le courant intellectuel le plus important aujourd’hui en Israël, celui qui influe le plus sur le débat public. Cela commence à percer aussi dans la presse, dans la politique. Ces idées sont de plus en plus exposées et débattues, qu’on soit d’accord avec elles ou pas. C’est désormais présent dans l’espace public et on ne peut plus prétendre que ces idées n’existent pas.

Du point de vue du contenu, quelles sont les valeurs conservatrices qui pénètrent le plus dans le débat public israélien ?

Je crois que c’est d’abord la prise de conscience que pour progresser, il faut dialoguer avec le passé. Nous ne pouvons couper la part héritée du passé de ce que nous sommes. D’où notre effort à lier le passé au présent et à l’avenir. Ce qui caractérise les idées progressistes avec lesquelles nous sommes souvent confrontés, c’est leur besoin de faire advenir la rédemption ici et maintenant. Nous pensons qu’il faut faire exactement le contraire, établir une continuité et la compréhension que ce processus exige un respect de ce que le passé nous a apporté. Et seulement à partir de là commencer à avancer, considérant que l’amélioration et la réparation ne peuvent émerger d’une réflexion rationaliste abstraite, mais d’une réflexion méthodique sur ce qui a fonctionné dans le passé et une mise de côté ce qui n’a pas ou moins fonctionné. Par exemple qu’est-ce qui a fait progresser la liberté et la prospérité ? Nous verrons que c’est lié à une certaine conception économique, alors que ce qui leur a nui était lié à une conception économique différente. C’est pourquoi les conservateurs préféreront une conception économique capitaliste à une conception socialiste. Ils retiendront toujours ce qui fait progresser les valeurs de liberté et de prospérité, pas ce qui les fait régresser.

Comment le conservatisme peut-il s’accommoder du sionisme, qui est en soi une idéologie progressiste, en rupture avec le passé ?

Le sionisme ne s’est jamais exprimé d’une seule voix. Et parmi elles une voix, à mon avis centrale, qui n’est pas du tout révolutionnaire. Je ne crois pas que l’on puisse qualifier de révolutionnaires les voix de Herzl, Jabotinsky, Ben Gourion, ni celles de Katznelson ou de Bialik. Ils ne voyaient pas dans le sionisme une révolution, mais une renaissance. En cela, c’est un renouvellement dans une continuité historique de la préservation du peuple juif. Le sionisme, en tant que mouvement national du peuple juif n’est pas une invention du XXème siècle, ni du XIXème siècle. Il existait déjà à l’époque du Premier et du Deuxième Temple, à celle des Hasmonéens. De ce point de vue, il s’agit bien d’un mouvement de renaissance, de retour sur notre terre, de retour à notre langue, à notre culture. Ce n’est donc pas une révolution, comme peut l’être la Révolution française. Le sionisme est une restauration.

Le conservatisme israélien a-t-il une dimension spécifique ?

Le débat d’idées qui se joue actuellement en Israël n’est pas coupé du reste du monde. Il y a actuellement une discussion générale entre progressistes et conservateurs. Dans ce monde, nous sommes un des aspects particuliers de ce débat, qui se manifeste par différents courants. Il y a d’un côté Thomas Paine, de l’autre Edmund Burke. Mais le conservatisme n’est pas un « copié-collé » pour tous les pays. Ce qui n’est pas le cas des progressistes, qui par définition, ne pensent pas en termes de différences et de particularismes nationaux qui n’ont pas leur place. Nous pensons que le rationalisme est extrêmement important, mais que ce n’est pas la seule valeur importante. Il y a également la tradition, la culture, et d’autres facteurs qui relèvent aussi de l’émotion. L’être humain n’est pas seulement rationnel. Nous, les conservateurs israéliens cherchons à revenir à notre particularisme et à ce que notre tradition juive peut apporter. Et donc le conservatisme israélien est nécessairement différent du conservatisme américain ou allemand ou de tout autre pays ou culture. Nous pouvons être fiers de la contribution de notre héritage à la culture occidentale. Cela nous donne aussi une responsabilité vis-à-vis de notre propre culture et sur la façon dont elle peut améliorer l’Etat d’Israël et en faire une société qui soit un exemple, une inspiration pour le reste du monde. Et c’est peut-être la spécificité du conservatisme israélien.

Pourquoi la plupart des institutions et des centres de réflexion conservateurs en Israël sont-ils d’origine américaine ?

Parmi ceux qui soutiennent le conservatisme aux Etats-Unis, on trouve des Juifs américains, qui se préoccupent de leur pays mais aussi d’Israël. Ils veulent promouvoir le conservatisme aux Etats-Unis, mais comprennent qu’on ne peut le transposer tel quel en Israël. Il ne suffit pas de traduire Burke en hébreu pour faire du conservatisme israélien et juif. Nous devons créer un dialogue avec notre propre patrimoine, celui de l’héritage juif.

Docteur en philosophie, Doyen du Fonds Tikvah, Directeur de l’Institut Argaman, Président d’honneur du centre Etzeg, fondateur du mouvement "Im Tirtzou", a été membre de la direction d’institutions nationales, auteur de Im Tirtzou, manifeste pour le renouveau du sionisme, et d’une série d’essais et d’articles sur la philosophie, la littérature et le sionisme dans les journaux Haaretz, Makor Rishon et Maariv.