La machine infernale

Paris Protest in Support of Palestinians in Gaza. Crédits: Dominique photographer. https://www.flickr.com/photos/frogandonion/3212105643

LA RÉINVENTION DU MYTHE DU « MEURTRE RITUEL« 

Le Ramadan 2022 aura vu le retour des émeutes islamiques sur « l’esplanade des mosquées » selon une modalité politique apparue pour la première fois lors de la précédente opération militaire israélienne à Gaza, connue sous le nom de « Gardien des murailles ». Ces émeutes comme les précédentes à Lod et à Akko notamment, sont fomentées de toutes pièces par le Hamas depuis Gaza.

Le scénario est connu. Une fois qu’elles ont éclaté, le Hamas s’institue défenseur des émeutiers et plus largement des mosquées du Mont du Temple, jusqu’à tirer (pour la première fois lors de la précédente opération) un missile en direction de Jérusalem, intimant à Israël des ordres de faire ou ne pas faire dans la ville sans quoi il recevrait une pluie de missiles venant de Gaza. On se souvient de ces deux dernières années avec le défilé des drapeaux israéliens, « interdit » par le Hamas et qu’Israël maintint en louvoyant et en changeant d’itinéraire. En somme, depuis lors, le Hamas fait peser objectivement une hypothèque sur le Mont du Temple et même la ville de Jérusalem. Il entraîne avec lui la population palestinienne, une partie des Arabes israéliens sans parler du monde musulman, même le plus sympathique à Israël comme les pays des Accords d’Abram.

 

Commet le réussit-il? En recourant à une manœuvre inaugurée dans les années 1930 par le Mufti de Jérusalem, Amine El Husseini: l’invention du mythe « Al Aqsa en danger! » dont la rumeur incite les musulmans à se lever en masse contre la désécration supposée en cours de la mosquée Al Aqsa, souillée par « les pieds sales des juifs! » (une formule courante prononcée par Mahmous Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne[1]). Il faut savoir combien cette mise en garde affabulatrice soulève les consciences islamiques. Car le Wakf, l’instance cléricale musulmane qui gouverne (le mot n’est pas abusif) la montagne, a décrété que le terme de « mosquée al Aqsa » désignait toute la montagne qui est connue en hébreu comme le « har Habayit », »la montagne de la Maison », c’est à dire du Temple: les deux temples historiques juifs sur cette montagne se dénommaient « Maison de la sanctification », Bayit hamikdash. En un mot, les Juifs comme l’Etat d’Israël sont de facto bannis du site …

 

Al Aqsa en danger est donc la formule pour déclarer la guerre sainte et appeler les musulmans à monter en masse sur la montagne pour défendre la mosquée. Cet appel à la guerre sainte résonne tout particulièrement durant le mois de Ramadan, connu à travers l’histoire comme un mois menaçant pour les Juifs et les chrétiens, exutoires de l’appel à la guerre sainte, devoir ultime du croyant.

 

Cette manœuvre joue exactement le rôle que jouait l’accusation mensongère de « crime rituel » dans les pays chrétiens. Les antisémites faisaient courir le bruit que les Juifs avaient saigné un enfant chrétien pour fabriquer avec son sang les matsot de Pessah: une fable à l’origine de violents pogroms, dans laquelle on peut identifier un chaos de notions théologiques: le vin de la communion, l’hostie, le sang et le corps du Christ, la passion de la croix etc. Avec Al Aqsa, l’histoire est différente. Tout d’abord Al Aqsa fut inventée comme lieu saint islamique dans le cadre d’une concurrence politique entre pouvoirs musulmans dans la suite de la succession de Mahomet. Il était aussi inéluctable que la nouvelle religion fasse écran au plus grand lieu saint juif pour affirmer son triomphe. Par ailleurs, la tradition musulmane affirme que Mahomet effectua dans ce lieu une ascension aux cieux (de surcroit à partir du Mur occidental (dit « mur des lamentations »). C’est dire la force symbolique du lieu. Les Palestiniens ont, quant à eux, développé un usage politico-religieux de la montagne. Ils ont bien discerné que le lieu échappait, de facto, à la maitrise de la souveraineté israélienne, depuis la guerre de 1967. Le vainqueur de la guerre des 6 jours Moshe Dayan avait remis en effet, au jour de la chute de l’occupation jordanienne, au chef du Wakf jordanien, les clefs du Mont du Temple. Avec le mythe d’Al Aqsa, les Palestiniens ont en main un symbole de souveraineté qui draine sa force de tout le monde musulman.

 

L’IMPACT DE LA DÉMISSION INTERNATIONALE DEVANT L’UKRAINE: RETOUR DU BOUC ÉMISSAIRE?  

 

La déclaration de Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères[2], sur le sang juif de Hitler et de Zelinsky et, quelque temps auparavant, la mise en accusation de « l’occupation » israélienne – en réaction au jugement négatif sur la Russie émis par le ministre Lapid – donne une indication intéressante d’une évolution possible dans les semaines à venir. L’intérêt occidental en faveur de l’Ukraine pourrait bien se retourner contre Israël, substitué à la Russie dans la dénonciation de l’occupation, de la guerre, du génocide, de l’apartheid dont seraient victimes les Palestiniens, un retournement symbolique que savent si bien faire les associations propalestiniennes et les islamogauchistes d’Occident qui ne manqueront pas d’établir un lien entre le boycott sévère de la Russie et le boycott à faire d’Israël.

 

Le terrain est préparé par la psychologie collective qui découle de la mauvaise conscience du spectateur occidental, témoin passif d’une tragédie à laquelle il assiste sans descendre dans l’arène porter secours. La mauvaise conscience qui en résulte peut susciter un activisme compensateur envers un pays comme Israël qui n’a pas la puissance de Poutine et qui est déjà accusé par ses ennemis de commettre des crimes contre l’humanité et mis au banc de certaines organisations internationales.

 

La stratégie des militants anti-israéliens est toute trouvée : détourner l’insatisfaction de l’opinion occidentale, consécutive à sa passivité timorée et culpabilisée, sur Israël dont la condamnation la « laverait » de son sentiment de culpabilité et apaiserait son envie d’intervention sans risquer pour autant une guerre nucléaire. Ce que l’Occident « progressiste » ne peut se permettre contre Poutine il le peut contre Bennet-Lapid, en intimant à Israël de mettre fin à l’occupation de la Palestine et à l’apartheid contre les Palestiniens, sans parler du « génocide » de Gaza.

 

LE RELAIS FRANÇAIS

Nous avons vu que le conflit que l’on dit « israélo-arabe » ou « Israélo-palestinien », prenait réellement, malgré les faux semblants que retient l’Occident journalistique, la tournure d’une guerre de religion, du djihad dont la mosquée d’Al Aqsa en danger est le symbole. Sa portée dépasse les frontières géographiques. On y trouve des Israéliens d’origine musulmane La ligue islamiste israélienne (les Frères musulmans ont pignon sur rue en Israël et sont partie prenante de la coalition au pouvoir). Nous avons vu que ce scénario rameutait aussi les pays islamiques les plus lointains du théâtre des opérations, y compris les pays des Accords d’Abraham. La France n’y échappe pas au risque de l’importation du conflit. Rappelez-vous Merah qui tua des enfants juifs pour « venger les enfants de Gaza »…

 

A ce propos, sur les réseaux sociaux, a circulé un message gravissime sur le plan de l’importation du conflit, émanant du recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz. « Je condamne fermement l’agression des fidèles musulmans désarmés dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa et sur ses esplanades, le vendredi 15 avril par les forces israéliennes causant de très nombreux blessés. Les musulmans sont profondément heurtés par la lâche agression de ce lieu béni où le prophète (sur lui la grâce et la paix) a effectué son ascension aux cieux ».

 

La porte est ainsi entr’ouverte à la guerre sainte en France. Et de fait c’est ce qu’annonce le chef du Hamas à Gaza Yehia Sinouar, ces jours-ci. « Comme les Juifs attaquent une mosquée, nous attaquerons des synagogues partout dans le monde ».

 

LE CLIMAT FAVORABLE

Une nouvelle donne s’est produite en France ces jours-ci et qui influe directement sur cette situation. Il concerne l’activisme pro palestinien de la supposée extrême-gauche. Comme relais de la politique palestinienne et de ses mots d’ordre de boycott et d’anti « apartheid », on ne fait pas mieux. Ces associations, fer de lance de l’islamogauchisme contribuent à l’universalisation et à la socialisation des motifs propalestiniens, et à la dégradation de l’image d’Israël. Leur bannière est présente dans toute manifestation, peu importe laquelle. Elles installent une source d’animosité permanente envers les Juifs français soupçonnés de faire corps avec le sionisme et donc avec l’oppression des musulmans, avec les agresseurs d’Al Aqsa.

Ces associations, le Comité Action Palestine et le Collectif Palestine vaincra avaient été dissoutes le 9 mars. Le Conseil d’Etat vient de les rétablir. Saisi en urgence, il les a autorisées à reprendre leurs activités, estimant que les dissolutions ne se fondent pas sur des » faits établis ».

 

Ainsi la France juridique justifie-elle la promotion de mensonges politiques (pas des « faits établis »!) et la légalité de la diffamation envers Israël. Il suffit de mettre en parallèle avec d’autres problèmes mondiaux la couverture française pour voir, du premier abord, qu’elle est disproportionnée. On pourra aussi vérifier que cette situation anormale est exploitée par les activistes musulmans pour monter sur la scène politique française en tant que pouvoir politique islamique, portés en quelque sorte par leur légalité (Conseil d’Etat !). Les meurtres religieux de Merah ont pourtant prouvé qu’ils atteignaient en définitive tous les Français et pas seulement les Juifs.

 

L’OPINION DE L’AFP

 

Cela fait de nombreuses années que de nombreuses recherches et démonstrations ont démontré que l’AFP, agence semi officielle et source principale des informations, a adopté le « narratif » islamiste et nationaliste des activistes palestiniens (se reporter aux 18 numéros de la revue Controverses, controverses.fr) et contribué à installer en France une atmosphère qui lui est favorable. Est concernée toute une stratégie d’écriture qui ne rend pas compte des faits mais les déforme à l’avantage des Palestiniens et au désavantage d’Israël, ainsi campé comme le fauteur de troubles et le coupable. Le lien de l’AFP avec le Quai d’Orsay l’éclaire quand on sait que, dans toutes les instances internationales, le Quay d’Orsay qui se veut le continuateur de « la politique arabe » du Général de Gaulle, est partie prenante de résolutions anti-israéliennes concernant des choses fondamentales pour Israël.

 

Le problème que pose cet état de faits déséquilibré, c’est qu’il crée dans l’opinion une atmosphère qui nourrit parmi les milieux islamistes français l’inimitié envers les Israéliens qui sont plus couramment appelés « les Juifs », ce qui établit une connexion avec les Juifs français par le biais d’une haine religieuse aux multiples scènes, plus que nationaliste, renforcée par la légitimité que lui confère l’opinion publique.

 

[1] Le président palestinien Mahmoud Abbas : « Les juifs n’ont pas le droit de souiller la mosquée Al-Aqsa de leurs pieds sales », mai 13, 2020

 

[2] Même annulée par les excuses de Poutine

Professeur émérite des universités, directeur de Dialogia, fondateur de l'Université populaire du judaïsme et de la revue d'études juives Pardès. Derniers livres parus Le nouvel État juif, Berg international, 2015, L'Odyssée de l'Etre, Hermann Philosophie, 2020; en hébreu HaMedina Hayehudit, Editions Carmel 2020, Haideologia Hashaletet Hahadasha, Hapostmodernizm, Editions Carmel, 2020.