Les fausses dévotes de l’humanisme

« Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer » (Molière, Don Juan)

L’histoire des rapports entre Israël et ses voisins a toujours embarrassé un grand nombre d’intellectuels occidentaux. Car pour avoir une idée de ce qui se joue en Israël et autour de lui il faut avoir, au moins, quelques connaissances historiques, religieuses, juridiques et politiques qui permettent de comprendre à la fois l’actualité de ce pays et les raisons de l’animosité qu’il suscite chez ses voisins arabes, dans l’Union Européenne, dans les pays du Tiers-Monde, dans l’Amérique de Biden et, avant lui, dans celle d’Obama.

Or, lorsque l’on s’intéresse aux origines des connaissances des intellectuels qui s’expriment au sujet d’Israël, on est surpris de constater que ce qu’ils appellent « connaissances » provient des médias nationaux  et aujourd’hui des réseaux sociaux. Dans un film documentaire de Hannah Assouline  « À notre tour », un jeune Français d’origine musulmane dit qu’il n’a jamais vu de Juifs, a fortiori d’Israéliens et que tout ce qu’il sait à leur propos vient des médias. Au fond, il n’y a pas grande différence entre son « savoir » et celui des intellectuels professionnels, qui émettent des avis sur Israël et sur le conflit israélo-palestinien et qui « savent » qu’Israël est un pays « d’occupation », de « colonisation » et « d’apartheid ». Il en va de même pour un grand nombre d’étudiants, surtout militants, qui sont très actifs dans certaines universités et qui appellent aux manifestations pro-palestiniennes au nom de la paix.

De la même manière, tout ce que nos concitoyens « savent » de la guerre récente avec le Hamas provient de médias officiels dont Pierre Lurçat, Jean Szlamowicz et Laurent Hayem ont proposé des analyses détaillées sur les pages de Menora.

Si la position anti-israélienne est clairement définie et aisément repérable dans les textes qui portent directement sur cette guerre, le parti-pris est plus difficile à saisir dans d’autres textes, qui ne se réfèrent au dernier conflit que de manière indirecte. Ces textes, parus également dans les médias nationaux, appellent à la « paix, » à la « non-importation du conflit israélo-palestinien sur le sol français » et sont signés par les « communautés » qui s’opposent sur les réseaux sociaux, à la justice, à la solidarité etc. En gros, l’éternel discours de l’abbé Pierre et de Mère Teresa à la sauce antiraciste, qui inspire la bienpensante et docile intelligentsia de gauche, post-identitaire, multiculturaliste et progressiste. Ces textes sont nombreux et utilisent souvent les mêmes procédés rhétoriques. Lundi 31 mars, Le Monde publie une tribune d’un collectif de femmes qui veulent se battre contre l’identitarisme, pour la paix et pour la justice[1].  Elles écrivent « nous refusons que le conflit entre Israéliens et Palestiniens devienne chez nous, en France, une guerre entre communautés » et appellent à rejoindre leur réseau de « guerrières de la paix pour faire barrage aux discours de la haine ».

 

 

Injonction morale de la paix

Le prêche pour la paix est le topos le plus classique de la vertu politique. Mieux, c’est un constat très ancien qu’on trouve chez Hérodote : « Nul homme n’est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix ». Qui, parmi ceux qui publient dans les colonnes du Monde n’est pas animé « par le désir de la justice et de la paix » ?  Le Monde publierait-il un texte qui expliquerait l’impossibilité de la justice et de la paix en ce qui concerne le conflit israélo-arabe en en donnant des explications rationnelles ? Jusque-là, il a excellé dans la publication d’informations inspirées par le Hamas[2], sans jamais désigner explicitement celui-ci comme l’agresseur. Le texte de ces guerrières fait également fi de la source des violences et présente « les discours de la haine » comme émanant de deux « communautés » dont on ne saura rien de plus. En l’absence de précisions, le lecteur n’a qu’une possibilité : conclure qu’il s’agit de la « communauté juive » et de la « communauté arabe ». Et qu’elles répandent le discours de la haine. De manière symétrique.

Cette technique, qui consiste à escamoter l’agent des violences, est très usitée par les médias, surtout quand il s’agit de décrire les attaques des terroristes contre les civils israéliens. Les voitures-béliers se conduisent automatiquement, elles foncent toutes seules sur les gens, les enfants tués en Israël deviennent victimes de la haine des Hommes (en général), la violence de la rue tue des Juifs et ainsi de suite.

Le texte du collectif féministe adopte cette technique et évite toute référence à la source des violences et à la nature des « infox » qui circulent massivement dans les médias.  Les signataires s’inspirent manifestement des postulats mensongers du ministre des affaires étrangères : postuler qu’il existerait deux camps radicalement opposés en France en les renvoyant dos à dos, revient à répéter la déclaration d’Yves le Drian selon laquelle « deux communautés se sont affrontées dans les localités israéliennes »[3], en évitant toute mention des raisons de ces affrontements.

L’armée de la paix  qui prône la tolérance, la sororité et la fraternité : n’est-ce pas le comble de l’humanisme ?! On pourrait penser que ce sont les dignes héritières de l’académicien Andreï Sakharov, prix Nobel de la paix, qui prônait la tolérance, la coexistence pacifique et la liberté intellectuelle dans la Russie communiste. Cependant, il y a une grande différence entre lui et ces dames. Sakharov était un éminent savant, qui risquait sa vie, celle de sa famille et sa carrière, pour dire la vérité sur les événements, à l’époque soviétique, où les droits de l’homme étaient violés à chaque instant. Il connaissait les faits. Ce qui semble ne pas être le cas des humanistes féministes. Pour vouloir la paix et la justice, il faut commencer par guérir son ignorance (ce qui est faisable) ou cacher son narcissisme assaisonné d’une bonne dose d’hypocrisie. Où étaient ces guerrières du cabinet lorsque le Hamas inondait Israël avec ses roquettes ? On ne les a pas entendues organiser des manifestations pour exiger l’arrêt des violences contre la population civile d’Israël, on ne les a pas entendues non plus lors des manifestations pro-palestiniennes interdites, où se scandait le traditionnel « Mort aux juifs ». Quand on parle de la haine, il n’y a pas de commune mesure entre l’appel au meurtre et l’antagonisme fût-il brutal qui s’exprime sur les réseaux sociaux…  et qui se fout de sentiments outrées de nos cœurs d’or. On ne peut aimer celui qui soutient, approuve et encourage les attaques des civils juifs. Or leur nombre est très important en France. Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour voir de quel côté vient la haine et les appels aux meurtres. Il est aussi possible de s’intéresser aux comptes Twitter d’une partie des universitaires, dont les sympathies pour le Hamas ne sont pas cachées. Le pluriel de « discours de la haine » qui ne précise pas son origine est, ainsi, une manipulation rhétorique. Mais ce sont les faits, et les faits n’ont jamais intéressé les carriéristes de la vertu.

Il est savoureux que dans cette situation, ces patronnesses militantes se posent en victimes des violences communautaires, qui les assigneraient à choisir « leur camp ». Ce ne sont pas les Juifs agressés en Israël, en France et dans le monde entier, ni les Palestiniens que le Hamas utilise comme boucliers humains ou comme « creuseurs » de tunnels qui les préoccupent. Non, le seul souci de ces dames est leur propre pureté morale. Elles le disent d’ailleurs clairement

« Nous avons le sens de l’intérêt général, toujours au-dessus de nos intérêts particuliers. Nous sommes toutes animées par un profond désir de justice et de paix. »

Ce bel accès d’angélisme, publié par Le Monde, occulte l’indifférence absolue pour la justice et l’incompréhension totale que la paix ne peut pas advenir dans le déni de la réalité.

«L’importation du conflit » ?

Cette formule est un des plus grands mensonges ou manipulations du récit médiatique, politique, universitaire et dans une moindre mesure, associative. Le conflit n’a jamais été importé en France, il y a été construit par un puissant discours médiatique patronné par le Quai d’Orsay et véhiculé par des clercs universitaires et par une intelligentsia militante qui brille par son pro-palestinisme avoué, tout en se fichant du sort des Palestiniens opprimés par le régime totalitaire de l’OLP et du Hamas. Depuis l’existence des liens étroits avec l’OLP, la France n’a jamais ouvertement condamné les violences anti-israéliennes. Le discours officiel français pleure uniquement les Juifs morts dans la Shoah. Les juifs vivants d’Israël qui défendent leur État et leurs vies ne sont plus au goût du jour depuis 1967.

En règle générale, dans nos sociétés démocratiques, le récit médiatique a un grand pouvoir de construction de l’histoire du passé et du présent : son retour sur le passé relève de la réécriture et sa présentation du présent sous un certain angle est choisi en fonction de l’idéologie dominante. La réalité politique et sociale apparaît ainsi indissociable du fonctionnement du discours médiatique, qui s’en inspire et qui l’influence en même temps. L’une des propriétés saillantes du dispositif rhétorique commun portant sur le conflit israélo-arabe est qu’il recourt notamment à l’essentialisation en procédant par la dichotomie narrative suivante : dominant, persécuteur, israélien versus dominé, victime, palestinien. Par essentialisation, j’entends l’ensemble des propriétés intrinsèques attribuées à deux groupes, indépendamment du contexte, des actions de leurs membres et de leurs discours à un moment donné.

La construction du dispositif médiatique français ouvertement hostile à Israël ne date pas d’hier. On pourrait situer son origine dans le discours que de Gaulle a prononcé le 27 novembre 1967, suite à la victoire inattendue d’Israël en 1967. Il qualifie les Juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » en craignant qu’ils « n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem ». C’était, selon Raymond Aron, l’ouverture de l’ère de soupçon. Depuis ce tournant dans l’histoire des rapports entre la France et Israël, les passions antijuives de l’AFP n’ont jamais faibli. Elles ont encore augmenté avec la guerre du Liban en 1982, ce dont rend compte Léon Poliakov dans son essai sur la désinformation De Moscou à Beyrouth. Elles atteignent en général des pics au moment des attaques que subit Israël : la deuxième Intifada surtout avec l’affaire Al Dura (voir Taguieff 2010), ensuite en 2009, avec le rapport Goldstone, en 2014, lors de la guerre avec le Hamas et aujourd’hui, pendant ce que Jaques Tarnero a appelé « la guerre des dix jours ».

Pendant longtemps, les médias se sont efforcées de justifier les violences antijuives par l’explication sociologique des « laissés-pour-compte » de la République qui s’insurgent contre les discriminations. Des intellectuels connus, comme Alain Badiou et Eric Hazan cautionnent cette logique :

« L’hostilité de ces jeunes envers les Juifs est fondamentalement liée à ce qui se passe en Palestine. Ils savent que là-bas, des Israéliens juifs oppriment les Palestiniens, qu’ils considèrent pour des raisons historiques évidentes comme leurs frères » (Badiou, Hazan (2011 : 18-19)

Or, pour justifier, légitimer leurs actes meurtriers, il y a une cause que les assassins mettent systématiquement en avant : « venger les musulmans opprimés de la Palestine, venger les enfants palestiniens ». Ce qui est en jeu ici, c’est l’identification aux victimes construites par le discours victimaire. Cette construction apparaît très clairement dans le discours de Mohammed Merah : « Parce que si j’aurais tué des civils, la population française aurait dit que, heu voilà, c’est un fou d’Al-Qaida, c’est juste un terroriste, il tue des civils ». Son raisonnement est construit sur le présupposé que quand on tue les Juifs, le meurtre est plus justifié par le préjugé communément partagé sur la nature connotée négativement de ce groupe. Si on tue les Juifs, on n’est pas terroriste. La concordance « militaires » « juifs » va dans ce sens, car ces deux mots partagent un sème commun négatif : « mettre à mort ». Merah se réfère à l’image des Israéliens, comme tueurs d’enfants ; c’est pourquoi le message « passerait mieux ».

Des discours comme celui de Merah, avec leurs présupposés, sont inspirés, entre autres, du modèle médiatique et se réfèrent à lui en se basant sur deux observations :

  1. Les références aux enfants palestiniens tués par les Israéliens et que les meurtriers vengeraient en tuant les juifs et des Français se trouvent très souvent dans le discours politique et, par conséquent, médiatique. Le discours de D. de Villepin publié dans le Figaro en est un bon exemple (http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/07/31/31002-20140731ARTFIG00381-dominique-de-villepin-lever-la-voix-face-au-massacre-perpetre-a-gaza.php. Ce discours est postérieur au meurtre de Merah, mais il donne caution à tous les meurtriers qui ont suivi ce dernier. L’AFP pratique l’accusation d’Israël comme « meurtrier des enfants » depuis 2000, l’affaire du petit Mohammed Al Durah (voir P. A. Taguieff, 2010, D. Dayan, 2012).
  2. La construction logique de ces discours, qui transfère la responsabilité d’actes meurtriers sur les victimes du meurtre, et appelle à l’empathie pour les meurtriers et non pour les victimes, est également un modèle véhiculé par le récit médiatique dominant. Nous l’avons vu dans les analyses publiés par Menora très récemment.

Alors quand les amazones de la paix déclarent :

« Une propagande haineuse, faite souvent de l’infox, se répand. Elle embrase les réseaux sociaux où deux camps radicalement opposés s’affrontent avec haine et intolérance, nous sommant de rejoindre ce qui est supposé être notre camp »

Ou encore

« Nous refusons de tomber dans le piège  tendu par les identitaires, les extrémistes et les communautaristes »

Elles disent, au fond, qu’elles n’ont rien à faire de la vérité, de la connaissance et de la justice, car l’intolérance et la haine sont surtout du côté de ceux qui reprennent à leur compte les discours médiatiques en accusant les juifs de « tuer les enfants palestiniens », d’être « identitaires » lorsqu’ils soutiennent Israël et d’être « communautaristes » en s’exprimant en soutien des Juifs qui sont agressés dans leur propre pays et sur leurs propres terres.

Jean-Claude Milner indiquait à juste titre qu’il existe, dans toute configuration politique, de bons et des mauvais rassemblements.

« Quoi qu’il en soit, l’on pourra construire un réseau de propriétés qui permettra, en toute occurrence, de débrouiller l’écheveau : on détermine, par engagement et assentiment, ce que sont les bons et les mauvais rassemblements ; puis on classe tout dit ou tout geste suivant qu’il renforce ou affaiblit le rassemblement considéré bon ou mauvais. […] On devine que les critères de la cohésion renforcée ou affaiblie, et ceux du bon et du mauvais rassemblement, ne découlent d’aucuns critères supérieurs : cela va de soi, puisqu’il n’y a rien au-delà  des rassemblements. Dès lors, l’exactitude de données, la propriété des termes, l’efficacité des mesures, tout cela est accessoire : « Quel est à tes yeux le bon rassemblement ? » et « Le renforces-tu ? », voilà les seules questions importantes, résumées usuellement en « De quel côté es-tu ? », « Choisir son camp » etc. Sur ce fond l’on saura absoudre ou condamner sans appel »[4].

La paix dont se targuent les amazones dévotes, est un de ces maîtres-mots que tout le monde brandit, auxquels certains croient et que d’autres utilisent comme tremplin pour leurs carrières. La paix est-elle possible à tout prix, au prix de l’ignorance crasse, de la démagogie, du mépris pour les gens qui sont relégués dans les camps des méchants « identitaristes », « extrémistes » et « communautaristes » ?

Conclusion

La création de l’armée de la paix des femmes ne sert aucune cause juste, ni celle de la transmission des savoirs, ni celle de la recherche de la vérité, ni celle du travail d’éducation de la jeunesse française.

L’appel à adhérer à l’armée du Bien fonctionne comme une obligation à se rallier à la bonne cause, incarnée par la bonne identité, celle de la Femme sans identité. Ce texte n’a pas pour but de démontrer les causes de l’antagonisme entre les « identitaires » français, embrasé par la guerre d’Israël avec le Hamas, ni de rendre compte de la manière dont ces évènements ont été transmis et commenté par les médias, encore moins de celle dont ils ont été repris par les anti-sionistes français.

Les autrices semblent ignorer que leur discours s’inscrit dans la continuité de la doxa morale qui se passe du savoir et qui insinue que les violences antijuives sont le résultat de la « haine identitaire » et du « communautarisme ».

Ce texte, qui, comme l’enfer, est pavé de bonnes dévotions, selon l’expression heureuse de Philippe Muray, sert de facto, les « schémas idéologiques » diffusés par les médias. Ils modifient la perception de la réalité en se focalisant sur la faible conscience linguistique et critique de la majorité des lecteurs. Un langage codifié par le système des idées dominantes (paix, justice, identité comme tare sur le corps progressiste) conduit à une vision stéréotypée de la réalité, qui produit un point de vue unilatéral et réducteur. Les éléments doxiques mobilisés par ces processus argumentatifs s’installent progressivement dans le langage commun et dans la mémoire collective, encadrent la perception du lecteur et semblent apparaître comme une évidence aléthique.

Nous sommes aujourd’hui confrontés aux résultats de ce savoir commun qui s’est élaboré au cours des siècles, nourri par l’amalgame de diverses configurations idéologiques et politiques. Et ce nouveau « savoir », qui veut fermer les yeux sur l’histoire, s’appelle « antiracisme » féministe militant. Plusieurs générations de nos contemporains, non-juifs comme juifs, ont été élevées dans ce dogme anti-juif et anti-israélien, minutieusement présenté comme « humaniste », « universel » et « moralement fondé » par le discours social, politique et religieux dominant.

Aucune manifestation pro-israélienne n’a eu lieu en France pour soutenir les juifs attaqués dans leur État. En revanche, plusieurs se sont tenues, malgré l’interdiction, où l’habituel « Mort aux Juifs » était présent, mais cela, nous l’avons vu, n’a pas touché les vertueuses antiracistes.

L’occultation de ces faits, l’irénisme presque paulinien, fût-il guerrier, que manifestent les signataires de ce texte, ne peuvent que s’inscrire dans la poursuite d’une tradition millénaire d’antisémitisme, qui perdure sans interruption depuis deux millénaires. Les femmes « de la paix » prétendent le dénoncer mais elles y contribuent par le déni et l’occultation de l’origine des violences. Toutefois, il faut leur laisser le bénéfice du doute : elles ne s’en rendent peut-être pas compte. Pour rompre avec ce conditionnement empoisonné, au lieu d’exhiber un pacifisme narcissique, ces féministes sensibles à la justice pourraient se tourner vers la connaissance rationnelle et factuelle et éviter les slogans creux, qui  font penser aux turpitudes de la Bienfaisance si bien décrites par Balzac :

« On se distingue à tout prix par le ridicule, par une affection d’amour pour la cause polonaise, pour le système pénitentiaire, pour l’avenir des forçats libérés, pour les petits mauvais sujets au-dessus  ou au-dessous de douze ans, pour toutes les misères sociales. Ces diverses manies créent des dignités postiches, des présidentes, des vice-présidents et des secrétaires de société dont le nombre dépasse à Paris celui des questions sociales qu’on cherche à résoudre ».

Les entreprises de la paix existent entre les Arabes et les Juifs, où qu’ils soient. Mais les véritables actions de la paix ne consistent pas à se positionner avec arrogance au-dessus de la mêlée, en constituant des armées de pacifistes, qui feignent de nier la réalité, de faire fi des sources du conflit, de son fonctionnement, de la propagation des narratifs mensongers. Le véritable combat est celui de la transmission du savoir, de la connaissance de l’histoire, de la géographie, de la politique française au Moyen Orient, du rapport de la France avec Israël et le monde arabe, de l’histoire du sionisme et du refus arabe d’accepter l’existence d’Israël. Brandir des slogans creux n’a jamais servi aucune cause juste. La vérité, aussi violente soit-elle, peut, en revanche ouvrir les yeux des gens et contribuer à la paix. La dévotion pacifiste pourrait s’inspirer du prédicateur français Jean-Baptiste Massillon : « les vérités qu’on aime le moins à entendre sont souvent celles qu’il importe le plus de savoir ».

Bibliographie

Badou, A., Hazan, E. (2011),  L’antisémitisme partout. Aujourd’hui en France, Paris, La fabrique

Dayan, D., (2012), « Mentir par les médias », Écrire l’histoire, n°9, pp.15-28.

Milner, J.-C. (1983), Les noms indistincts, éd. Verdier, Paris.

Poliakov, Léon, 1983, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation. Paris, Calmann-Lévy.

Taguieff, P.-A. (2010), La nouvelle propagande antijuive, Paris : Puf.

 

 

 

 

 

[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/31/nous-refusons-que-le-conflit-entre-israeliens-et-palestiniens-devienne-chez-nous-en-france-une-guerre-entre-communautes_6082223_3232.html

[2] https://infoequitable.org/l-obsession-anti-israelienne-du-journal-le-monde/

[3] https://www.lefigaro.fr/politique/jean-yves-le-drian-met-en-garde-israel-contre-un-risque-d-apartheid-envers-ses-populations-arabes-20210523

[4] Milner, J.-C.  (1983), Les mots indistincts, Verdier, Paris.

Yana Grinshpun est linguiste et analyste du discours. Elle est maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris III. Elle s’intéresse particulièrement à la construction et au fonctionnement des discours médiatiques, aux idéologies que ces discours véhiculent ainsi qu'à la manière dont se présentent les procédés argumentatifs dans les discours de propagande. Elle co-dirige l'axe "Nouvelles radicalités" au sein du Réseau de Recherche sur le Racisme et l'Antisémitisme (RRA).