L’homosexualité dans le débat public israélien

Longtemps sujet tabou, l’homosexualité apparait progressivement dans la sphère publique à partir des années 90. Depuis, le débat évolue entre inclusion, interrogations et politiquement correct.

 

Les institutions vont-elles plus vite que la société ? Si la reconnaissance des droits des LGBT a fait l’objet de nombreuses jurisprudences et de textes de lois, il demeure encore un décalage entre l’acceptation légale et sociétale de l’homosexualité. La perception a considérablement évolué en l’espace d’une génération, mais elle diffère selon les différents groupes de population qui forment la société israélienne. Plus intégrative à Tel Aviv, elle est en revanche moins ouverte dans la périphérie d’Israël ou dans le monde religieux.

Homophobie

En 2019, l’Union LGBT en Israël, la Aguda, a recensé 2215 incidents à caractère homophobe, contre 1557 en 2018 et 533 en 2017. S’il ne s’agit pas uniquement d’agressions physiques, mais aussi verbales, elle confirme en tout cas que l’hostilité à l’égard des homosexuels reste toujours vivace.

La communauté LGBT a d’ailleurs connu deux épisodes particulièrement dramatiques. En 2009, la fusillade du Bar Noar à Tel Aviv avait fait deux morts, dont une adolescente de seize ans, et onze blessés. Des jeunes s’étaient réunis comme tous les samedis soir dans un local de la Aguda, l’Union LGBT, pour un groupe de soutien aux adolescents homosexuels, quand un individu masqué est entré et a ouvert le feu en rafales, avant de prendre la fuite. L’enquête de police n’a jamais abouti et le meurtrier n’a jamais été identifié.

En 2015, au cours de la Gay Pride qui se déroulait dans les rues de Jérusalem, un Juif ultra-orthodoxe a poignardé à mort la jeune Shira Banki, âgée de 16 ans. Le meurtrier venait d’être libéré quelques semaines plus tôt, après avoir purgé une peine de dix ans d’emprisonnement pour avoir agressé au couteau et blessé six personnes qui participaient à la Gay Pride de 2005 dans la capitale israélienne.

Ces drames avaient d’autant plus ému le public israélien que leurs victimes étaient des jeunes et qu’ils ont justement mis l’accent sur l’aspect victimaire de l’identité homosexuelle. Parallèlement au caractère festif et convivial des Gay Pride qui sont devenus un lieu d’intersection positif entre LGBT et hétérosexuels, les crimes homophobes en ont donné le versant négatif, mais en quelque sorte réduit la perception à ces deux seules faces. Les autres aspects du débat, sur les droits et la reconnaissance des LGBT sont souvent jugés trop techniques ou ardus et laissés aux juges et aux législateurs.

Pas de débat, des polémiques

La question de l’homosexualité n’est pas réellement considérée en Israël comme un sujet de débat de société. Elle n’est généralement abordée ou relayée par les médias qu’à l’occasion de déclarations, le plus souvent de rabbins ou de personnalités du monde religieux, qui donnent lieu à des polémiques.

En 2015, à la suite du meurtre de la Gay Pride de Jérusalem, le Grand Rabbin de Jérusalem Shlomo Amar avait appelé à  trouver « les bons moyens  » de lutter contre le phénomène de l’homosexualité dont il rappelait que la Torah le définissait comme une « abomination ». Le Rav Amar déplorait également que l’homosexualité cherche à gagner sa légitimité dans les institutions officielles telles que les tribunaux et le parlement. Ses propos avaient été largement dénoncés.

Le Rav Yigal Lewinstein, directeur et fondateur de la Yéchiva d’Eli, l’un des principaux collèges religieux de préparation militaire, fait régulièrement les titres de la presse israélienne pour ses prises de positions à l’égard des homosexuels. Il s’oppose notamment à leur enrôlement dans l’armée et les aurait qualifiés de « pervers ». Ses propos ont été dénoncés, y compris au sein du secteur religieux sioniste par des rabbins et des personnalités politiques. Mais dans le même temps, quelque trois cents rabbins du courant sioniste avaient signé une pétition en sa faveur, affirmant que « l’amour du prochain et le devoir de respect envers tout être humain, ne saurait altérer la vérité de la Halacha, ni arrondir les angles en ce qui concerne les relations interdites ».

Plus récemment, c’est la remise du Prix d’Israël 2020 de littérature toranique au Rav Yaakov Ariel qui a relancé la controverse. Une requête déposée devant la Cour Suprême par l’Union LGBT avait même tenté de faire annuler sa distinction, mais les juges l’avaient rejetée. Ses adversaires reprochaient au Rav Ariel des propos qu’il avait tenus quelques années plus tôt, et où il appelait à refuser de louer des appartements à des couples homosexuels. Il arguait qu’un logement est destiné à abriter le couple homme-femme « dans l’esprit de pureté » du couple. Il avait également considéré les homosexuels comme des « handicapés ».

Thérapie de conversion

Pratique extrêmement controversée, la thérapie de conversion, encore appelée thérapie de réorientation sexuelle, a pour objectif de permettre à une personne homosexuelle ou dont l’identité sexuelle n’est pas en phase avec son identité de genre, de redevenir hétérosexuelle. Autrement dit de mettre en conformité son identité de sexe et de genre. Cette thérapie a pris des formes différentes au fil des années. Si le recours aux stimuli de type électrochoc pour « reprogrammer » le cerveau du  sujet semble avoir été abandonné, traitement consiste plutôt en une forme de thérapie calquée sur la psychanalyse ou la psychothérapie, en vue d’identifier la source du comportement, pour ensuite le modifier.

En Israël, la pratique de la thérapie de conversion n’est pas interdite, même si le milieu médical, à commencer par l’Ordre des Médecins, y est massivement opposé, ainsi que les psychologues et les travailleurs sociaux, notamment parce que l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie mentale. Les risques induits par ces traitements, pratiqués sans contrôle médical, sont le déclenchement de troubles psychologiques parfois irréversibles, allant jusqu’au risque accru de suicide.

Si le recours aux thérapies de conversion touche de moins en moins les milieux séculiers, la discussion reparait toutefois périodiquement dans une partie du monde religieux, qui préfère envisager la question de l’homosexualité sous l’angle thérapeutique, plutôt qu’éthique ou sociétal.

Le parti Noam

Si la plupart des grands partis non religieux incluent la reconnaissance des droits LGBT dans leur programme politique, ils ne la traduisent pas nécessairement comme une priorité de leur action parlementaire. Cela leur permet tout du moins de se positionner dans le consensus public et de se conformer au politiquement correct. Les partis religieux quant à eux, évitent de porter le sujet à l’ordre du jour.

Il faut pourtant mentionner le cas du parti Noam qui avait pris part à la campagne électorale des législatives de septembre 2019. Militant pour « un peuple normal sur notre terre », paraphrase de « peuple libre sur notre terre » qui figure aux paroles de l’hymne national, le parti a été créé sous la direction du Rav Tsvi Israël Tau, disciple du Rav Kook, et figure du sionisme religieux. Pour le parti Noam, il s’agissait de s’opposer à l’emprise croissante dans l’espace public, et en particulier à Tsahal et au ministère de l’Education, des organisations LGBT et du courant du judaïsme réformé. « Nous n’avons pas peur, nous ne nous taisons plus. Nous voulons changer l’ordre du jour du débat public et redevenir un peuple normal sur notre terre » indiquait le programme du parti. Noam s’était finalement retiré de la course quelques jours avant le scrutin.

Pas de « Manif pour tous »

L’opposition au parti Noam n’est pas venue que de l’extérieur du courant religieux nationaliste, mais aussi de l’intérieur, où certains ont dénoncé des prises de position jugées trop extrémistes, voire homophobes. C’est d’ailleurs assez symptomatique du débat public israélien, où les clivages sectoriels ou idéologiques ne dégagent pas de ligne fédératrice ou se réduisent à un antagonisme entre extrémisme et politiquement correct. Ce qui explique que l’on n’ait pas vu émerger en Israël de mouvement du type de la « Manif pour tous », qui avait rassemblé en France les opposants au mariage homosexuel, qui se retrouvaient principalement dans le milieu catholique traditionnaliste.

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.