» Les Israéliens sont conservateurs, même quand ils ne connaissent pas le concept »

L’historien et polémiste israélien est l’une des figures les plus médiatiques du débat public en Israël et monte régulièrement au créneau pour défendre le conservatisme à l’israélienne.

Propos recueillis par Pascale Zonszain

Menora.info : Le conservatisme en Israël est-il en train de devenir le nouveau sionisme ?

Gadi Taub : Je pense que oui. On peut décrire la situation par une image : « les fixes et de mobiles » [référence au titre de son dernier ouvrage, NDLR], avec d’un côté les fixes, les citoyens nationaux et de l’autre les mobiles, les élites globales. Les citoyens nationaux sont en majorité des conservateurs, dans le sens où ce qui compte pour eux, c’est la tradition, la terre, la langue, la culture locale et aussi l’économie et la politique locales. Et leur force politique dépend de l’existence d’un Etat-nation. Face à eux, les élites ont une influence énorme. En Israël, elles détiennent le monopole du pouvoir judiciaire et l’utilisent pour démembrer notre législation sur l’immigration – la Loi du Retour. Les élites exercent un contrôle quasi-absolu sur les universités et un contrôle non négligeable sur les médias. Et qui contrôle l’université, choisit aussi ceux qui y enseignent. Sans compter toutes les ONG, financées par des fonds européens, et dont l’ordre du jour est subversif et post-national. Et souvent aussi entaché d’antisémitisme et d’antinationalisme.

Comment décririez-vous le débat en Israël entre conservateurs et progressistes ?

Comme partout ailleurs, les progressistes essaient de faire taire les conservateurs. Ils souffrent d’une grande infériorité intellectuelle. Que reste-t-il de l’idéologie de la gauche israélienne ? Elle a tourné à l’individualisme, elle a abandonné le socialisme. Tous ses grands plans politiques se sont effondrés. Elle n’a plus rien à offrir sur le plan idéologique. Et en Israël, il n’y a même pas l’horizon d’une union européenne. Les progressistes ne peuvent donc plus rien faire d’autre que tenter de nous faire taire, car leurs arguments sont trop inconsistants. C’est pourquoi ils s’attachent à des débats comme celui de l’immigration illégale.

Le conservatisme en Israël est-il un concept encore réservé aux intellectuels, ou a-t-il pénétré dans la classe politique ?

Je pense que le conservatisme fait son chemin dans la classe politique. Ce qui passe d’abord, c’est le nationalisme. Je ne suis pas sûr que le concept de nationalisme évoque quelque chose pour l’électeur du Likoud. Ce qu’il comprend, c’est le traditionalisme et le nationalisme. Et cela correspond à peu près à ce que nous voulons dire par conservatisme.

Précisément. Qu’est-ce que le public israélien comprend au conservatisme ?

La terminologie est secondaire, ce qui importe c’est le contenu du conservatisme. Et cela, le public israélien le comprend parfaitement.

Comment cela se traduit-il politiquement ? Nous assistons dans cette nouvelle campagne électorale à un morcellement de la droite, avec deux nouveaux partis à côté du Likoud. Est-ce que cela n’est pas en train de l’affaiblir ?

Si vous parlez des partis Yamina de Naftali Bennett et Nouvel Espoir de Gideon Saar, ce ne sont pas des partis de droite. Ce sont des partis qui ont capitulé devant le pouvoir des technocrates, et qui tentent de plaire à l’élite de gauche. Les partis de droite, ce sont des partis juifs, c’est-à-dire le Likoud, le parti Sionisme Religieux [de Betzalel Smutrich], le Foyer Juif, et aussi les partis orthodoxes, Shass et les harédim ashkénazes.

En termes d’influence du conservatisme israélien, des figures telles que Yoram Hazony semblent avoir plus d’impact à l’étranger qu’en Israël même. D’ailleurs, le considérez-vous comme un conservateur ?

Absolument. Hazony représente un courant plus proche du conservatisme américain. Mais avant tout, il est l’un des penseurs les plus importants du conservatisme actuel. Et c’est un nationaliste. Son conservatisme est très critique à l’égard du libéralisme. Je pense que le conservatisme israélien et le conservatisme américain classique sont plus libéraux, dans le sens originel du terme, celui de John Locke. Le conservatisme israélien est libéral sur le plan économique et beaucoup plus tolérant que les progressistes. Dans ce sens, il est plus proche d’Edmund Burke et de John Locke, même s’il semble difficile de lier les deux. C’est pourtant ce que fait le conservatisme moderne.

Ne pensez-vous pas que le conservatisme américain influe sur le conservatisme israélien, notamment à travers les organisations qu’il finance ?

Ce n’est pas tant le conservatisme américain que les conservateurs juifs américains. Ils représentent une mouvance un peu différente, qui s’identifie plus à la religion qu’au nationalisme. C’est une question de nuances. Cela ne veut pas dire pour autant que le conservatisme juif américain soit antinational.

Qu’est-ce qui caractérise le plus le conservatisme israélien ? La religion, le nationalisme ?

Je citerais le Rav Oury Cherki : « Le judaïsme a été un nationalisme avant d’être une religion, car l’Alliance d’Abraham a précédé l’Alliance de Moïse ». Je pense donc que le conservatisme israélien considère la religion comme un composant du nationalisme et non le nationalisme comme un composant de la religion.

Historien, spécialiste des Etats-Unis, chercheur à l’Institut Federman pour la politique publique et le gouvernement, enseigne dans le département communication de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Dernier ouvrage paru : "Mobiles et Fixes : Le combat des élites contre la démocratie israélienne", 2020 ,Editions Shiboleth (en hébreu).