« Il y a un vrai débat sur l’homosexualité dans le monde rabbinique »

Le Rav Yuval Cherlow, directeur du Centre d’éthique juive du mouvement rabbinique Tzohar, intervient régulièrement sur les implications éthiques des avancées technologiques ou des droits humains. Il est aussi l’un des rares rabbins qui s’expriment sur la question de l’homosexualité.

Propos recueillis par Pascale Zonszain

Menora.info : Comment le monde rabbinique israélien considère-t-il la question de l’homosexualité ?

Yuval Cherlow : Il la considère à deux niveaux différents. D’abord sur le plan individuel, le monde rabbinique apporte beaucoup de soutien et d’encouragement, beaucoup d’attention, de compréhension et de recherche de solutions, bien évidemment à des degrés différents selon chaque rabbin. Mais il y a une réelle empathie et une volonté de trouver une réponse pour le jeune homme ou la jeune fille qui s’adresse à lui. Sur le plan idéologique, le monde rabbinique mène un combat intense contre la conception qui tend à faire de l’homosexualité une norme. Il s’oppose au mariage homosexuel, et ce qui ne relève pas du modèle familial traditionnel. Il s’oppose à l’adoption dans le cadre d’une famille homoparentale. Il faut distinguer entre la question personnelle et la question publique générale. Il faut analyser ce qui est en train de se produire.

Comment les rabbins réagissent-ils face aux religieux gays ?

Là encore, il y a tout une gamme de réactions. Les institutions religieuses ne traitent pas de la question de l’identité. Elles traitent de celle des actes. S’il y a des actes qui contredisent la Halacha, principalement dans le domaine du mariage, de la sexualité homosexuelle, les institutions religieuses, dans leur majorité, ne reconnaissent pas le phénomène. Là où il y a hésitation, recherche, volonté de rester religieux et parallèlement une grande détresse, les institutions religieuses vont tenter d’aider, d’accompagner la personne homosexuelle, lesbienne ou transgenre.

Quelles sont les opinions du monde rabbinique concernant les thérapies de conversion ?

Il est difficile de répondre à cette question, selon ce que l’on entend par thérapie de conversion. Les avis à ce propos divergent. Certains pensent qu’il existe des traitements en mesure de modifier l’orientation sexuelle. Pour ma part, je n’y crois guère. Je n’irais pas jusqu’à demander à ce qu’ils soient mis hors la loi, car chaque individu doit avoir le droit de faire ce qu’il veut. Sa liberté de choix doit être respectée. Mais si quelqu’un vient me consulter, je lui réponds généralement : voici les options. Quasiment tous les professionnels estiment qu’aucun traitement ne peut modifier l’attirance sexuelle existante et beaucoup considèrent même que ces thérapies sont très dommageables. Mais vous devez savoir que certains affirment que c’est possible. C’est donc à vous de choisir entre les options possibles. Ensuite je l’accompagne dans le choix qu’il aura fait.

Vous évoquez la dimension personnelle et la dimension idéologique du rapport des rabbins à la question de l’homosexualité. D’où vient alors cette impression d’une absence de réel débat, et qu’il se limite plutôt à la polémique ou à la controverse ?

Le grand public n’est pas informé des discussions qui se déroulent dans le monde rabbinique. Il n’a le plus souvent accès qu’à des propos parfois extrémistes, car ce sont ceux qui attirent l’attention. Mais en réalité, il y a un débat très large. Ainsi j’appartiens à un groupe de nombreux rabbins qui communiquent sur un groupe Google fermé. Dans ce cadre, nous discutons et toutes les opinions s’expriment, d’un extrême à l’autre. C’est donc une impression fausse que de croire que le sujet de l’homosexualité ne fait pas l’objet d’une réflexion dans le monde rabbinique. De plus, le « mainstream », le courant principal n’est pas celui qui a l’exposition des médias, qui lui préfèrent les prises de position extrêmes ou radicales. Ce qui donne une image déformée de ce qu’est la situation en réalité.

Pouvez-vous donner des exemples des sujets que vous abordez dans ce groupe de discussions ?

Cela peut être une question tout à fait concrète telle que l’embauche d’un enseignant homosexuel dans une yéchiva. Et tous les avis s’expriment. Un autre exemple : nous savons ce que dit la Halacha sur  ce qu’il est interdit de faire, sur le négatif. Mais que dit-elle sur le positif, sur ce qu’il faut proposer à ces jeunes gens et jeunes filles ? Voilà pour le niveau individuel. Et au niveau public, quel doit être le rôle du monde rabbinique dans l’aspect civilisationnel général, alors que le monde rabbinique considère qu’il faut se concentrer sur le modèle familial traditionnel. Il faut bien comprendre que le débat est intense, alors qu’on n’en perçoit que les expressions extrêmes, qu’elles soient ultra-libérales ou ultra-conservatrices. Ce sont ces débats internes qui nous nourrissent, même si ensuite, chacun prend ses propres positions. Il n’y a pas de Sanhedrin, d’assemblée décisionnaire. Chaque rabbin définit sa propre voie à la lumière de ces discussions.

Ce débat vous semble-t-il constructif ?

Je crois profondément au débat, aux avis différents. Je préfère entendre ce qu’ont à dire ceux qui ne sont pas d’accord avec moi pour forger mon opinion. Celui qui partage mon avis ne m’apporte rien.

Y a-t-il une communication, un dialogue, entre les rabbins et les organisations LGBT ?

Certains rabbins sont en contact avec ces organisations. Mais il y a aussi d’autres forums de dialogue entre rabbins et LGBT, entre rabbins et thérapeutes. Il y a parmi nous des personnes qui se consacrent à ce sujet, y compris pour des motivations humanistes, et aussi par ce que ce sujet est un vrai défi à nos dimensions.

Que pensez-vous du parti Noam qui s’était présenté aux précédentes élections à la Knesset ?

Je garde mes distances avec la politique partisane. Mais je considère les partis politiques comme des indicateurs. Je pense que le fait que se soit créé un parti dont l’essentiel du programme était consacré à l’opposition à l’homosexualité, montre que pour une frange du public israélien, c’est un sujet si brûlant qu’il justifie la création d’une structure politique. Mais pour moi, cela reste une sorte de détecteur qui me permet de mesurer ce que cette thématique représente pour certains.

Yuval Cherlow est rabbin, membre fondateur du mouvement rabbinique Tzohar dont il dirige le Centre d'éthique juive. Il est aussi le directeur de la yeshiva Amit Orot Shaul d'études talmudiques pour soldats religieux. Le rav Cherlow est membre de plusieurs comités de réflexion éthique sur des questions de technologie et de droits humains.