Juifs comment ? L’histoire compliquée des Juifs éthiopiens

Parce que leurs origines n’entrent pas dans les critères historiques classiques, Israël a encore du mal à définir l’identité des Juifs d’Ethiopie. Et à décider qui est candidat légitime à l’alyah.

 

Histoire et identité

On n’a pas de trace écrite de l’existence des Juifs d’Ethiopie avant le XIIIe siècle, et depuis différentes thèses ont été émises sur leurs origines, sans jamais avoir pu faire l’objet de certitude historique absolue.

Les Juifs d’Ethiopie se revendiquent comme les descendants de la tribu perdue de Dan, une des dix tribus exilées par les Assyriens à la fin du VIIIe siècle avant l’ère commune. Ils se nomment eux-mêmes les Beta Israël (Maison d’Israël), par opposition à l’église chrétienne éthiopienne qui revendique la descendance du roi Salomon et de la reine de Saba. Le terme de « Falacha » par lequel les désigne l’église éthiopienne est une appellation qu’ils récusent comme dégradante, puisqu’elle signifie « errant, sans terre ».

Etablis principalement dans le nord de l’Ethiopie, ils respectent le Shabbat, pratiquent la circoncision des nouveau-nés mâles au huitième jour, observent des règles de pureté alimentaire comme l’interdit sur la viande de porc. Leur langue liturgique est le guèze, la langue liturgique de l’église éthiopienne, car ils ne connaissent pas l’hébreu, ni aucun écrit postbiblique. La fête principale de leur liturgie, le Sigd, a été intégrée en 2008 dans le calendrier israélien. Célébrée 50 jours après Kippour, elle est marquée par une journée de jeûne et de prières pour commémorer l’alliance du peuple d’Israël avec Dieu lors du don de la Torah sur le Mt Sinaï et l’aspiration à retrouver le Temple de Jérusalem et la Terre d’Israël.

Cette communauté a été reconnue comme juive dès le XVIe par des rabbins d’Egypte tels que le Radbaz et le rabbin Jacob Ben Abraham Castro. C’est sur la base de leurs opinions juridiques, que le Grand Rabbin séfarade d’Israël, Ovadia Yosef a établi la judéité des Juifs d’Ethiopie en 1973, levant ainsi l’obstacle à leur immigration en Israël et les rendant éligibles à la Loi du Retour, qui permet à tout Juif de diaspora de faire l’alyah, mais aussi en les reconnaissant comme juifs selon la Halacha, donc disposant de tous les droits attachés à ce statut confessionnel, notamment en termes de mariage et de filiation.

En revanche, les Falashmuras, Juifs éthiopiens convertis au christianisme par des missionnaires à partir du XIXe siècle, ne sont pas considérés comme juifs. S’ils peuvent dans certains cas bénéficier de la Loi du Retour, ils sont en revanche exclus des autres critères identitaires et ne peuvent bénéficier que de la citoyenneté israélienne, tant qu’ils ne sont pas convertis.

Les alyah éthiopiennes

Les Juifs d’Ethiopie sont montés en Israël dans deux vagues successives. Entre 1984 et 1985, dans le cadre de l’Opération Moshe, environ 8.000 personnes sont arrivées en Israël. Menée en collaboration avec les Etats-Unis, mais aussi avec le Soudan, l’opération visait à faire sortir les Juifs d’Ethiopie menacés par la famine. 4.000 d’entre eux ont péri dans les marches qui les ont conduits vers le Soudan, où ils ont été parqués dans des camps de réfugiés.

La seconde vague a été celle de l’opération Shlomo en mai 1991, qui a permis d’évacuer 14.500 Juifs d’Ethiopie par un pont aérien de seulement 36 heures, leur permettant de fuir le pays en proie à la guerre civile.

Depuis, l’alyah d’Ethiopie concerne essentiellement les Falashmuras, dont le statut est donc différent, puisqu’ils n’ont pas été reconnus comme juifs par les autorités étatiques et religieuses israéliennes.

Un parcours légal confus

C’est seulement en 1977 que l’application de la Loi du Retour est expressément étendue au Juifs d’Ethiopie. En 1993, le Rabbinat et le ministère de l’Intérieur décident que les demandeurs d’alyah, identifiés comme Falashmuras, devront se soumettre préalablement à une procédure de conversion. En 2003, le gouvernement Sharon décide que les candidats à l’immigration devront prouver leur lien avec la communauté des Beta Israël par leur ascendance juive maternelle, pour ensuite effectuer leur conversion en Israël. Ce système durera jusqu’en 2013, et marquera ce qui était censé à l’époque être la fin de l’alyah d’Ethiopie avec l’arrivée totale de 5.000 personnes.

Pourtant, entre 2015 et 2016, en partie sous la pression publique et des olim d’Ethiopie, le gouvernement Netanyahou fixe de nouveaux critères pour l’alyah d’Ethiopie, permettant aux Falashmuras ayant de la famille en Israël, et pas seulement du côté maternel, de demander à immigrer. Sont également autorisés à entrer en Israël les conjoints et les enfants non mariés et sans descendance. Et tous doivent passer une procédure de conversion à leur arrivée en Israël. Ce dispositif a rouvert la possibilité d’alyah mais le fait qu’ils doivent se soumettre à un examen au cas par cas, rend leur immigration extrêmement difficile. Sur le principe de la réunification des familles, se créent paradoxalement des situations dramatiques où des membres de la famille doivent être laissés en Ethiopie, car ils ne répondent pas aux critères.

En 2020, les autorités israéliennes considèrent que seules environ 400 personnes peuvent encore prétendre à immigrer. 43 sont arrivées en Israël à la fin du mois de février. La communauté éthiopienne d’Israël estime de son côté que 9.000 personnes doivent encore bénéficier de l’alyah.

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.