Le contentieux foncier des Bédouins du Néguev

Entre 30 et 35% des Bédouins du Néguev vivent dans des localités non reconnues. A ce jour, aucun des programmes mis en place par les gouvernements israéliens successifs n’est parvenu à régler le problème, facteur de tensions constantes.

 

Cela a commencé bien avant la création de l’Etat d’Israël. Le contentieux qui oppose une partie de la population bédouine aux autorités israéliennes repose en partie sur des conceptions différentes du droit de propriété. Cela se traduit par une construction sans permis, dans des zones parfois impropres à l’habitation, et qui ne bénéficie pas des infrastructures et des services que l’Etat est censé fournir à sa population et bloque les plans de développement de la région.

Les Bédouins revendiquent la propriété sur les terres qu’ils occupent en se fondant sur la continuité de leur présence. L’Etat de son côté, se fonde sur sa législation foncière et la jurisprudence qui ne font pas droit aux prétentions des Bédouins, car il s’agit de terres d’Etat. Sur ces deux conceptions opposées, se sont greffées au fil du temps d’autres considérations, culturelles, géographiques, mais aussi politiques. Le contentieux a même été présenté comme un conflit entre puissance coloniale et peuple indigène, l’ouvrant ainsi à la critique internationale.

Israël n’est ni le premier ni le seul Etat à connaitre les difficultés d’un pouvoir central confronté à une population nomade. Avant lui, face aux Bédouins, ni l’Empire ottoman, ni le Mandat britannique n’avaient reconnu leurs revendications de propriété. Les tribus, selon leur puissance, contrôlaient un territoire plus ou moins étendu, sur lequel elles faisaient paître leurs troupeaux, percevaient des droits de passage et escortaient les caravanes. Les conflits entre tribus pour le contrôle des terres, s’est à peu près stabilisé à la fin du XIXe siècle. C’est à cette époque que l’Empire ottoman a établi la ville de Beer Sheva, qui devait servir de centre administratif. Les Britanniques ont prolongé le dispositif. C’est à partir des années 30 du siècle dernier, que le Yichouv juif a commencé à s’intéresser au Néguev et y a fait l’acquisition de terres, principalement dans le nord.

A l’issue de la guerre d’Indépendance, où les tribus n’avaient pas toutes combattu Israël, mais d’où certaines avaient pris la fuite, le nouvel Etat d’Israël a autorisé le retour de plusieurs milliers de Bédouins, ce qu’il n’a pas fait pour le reste des Arabes. Entretemps, Israël avait repoussé l’offensive égyptienne et conquis une zone plus importante que celle qui lui avait été originellement attribuée par le Plan de partage de l’Onu de 1947.

En 1954, la population bédouine du Néguev comptait 11.000 personnes, vivant principalement dans des campements de tentes. C’est en 1960 qu’Israël établit un premier plan de sédentarisation pour les Bédouins vers des villes à population mixte du centre du pays, entrainant les premiers mouvements de protestation. Une commission est alors créée pour tenter de régulariser la présence bédouine dans le Néguev. Le plus souvent des procédures judiciaires longues et fastidieuses, ont abouti au rejet des revendications de propriété des Bédouins. Parallèlement, deux agglomérations bédouines, planifiées par l’Etat, voient le jour au début des années 70, Rahat et Tel Sheva. Deux autres sont créées dans les années 80, pour accueillir les populations déplacées d’autres secteurs, après le retrait israélien du Sinaï et la nécessité de reloger ses bases militaires dans le Néguev.

D’autres agglomérations bédouines sont apparues dans les années suivantes, mais le plus souvent avec des infrastructures inadaptées ou insuffisantes. Une situation qui est en train d’être modifiée, mais qui tarde à donner des résultats satisfaisants.

Après les échecs successifs de plusieurs politiques, l’approche actuelle est de régulariser la situation sur place, sans faire bouger les habitants.

La construction illégale

Avec la sédentarisation, les Bédouins sont passés progressivement d’un habitat précaire à des constructions permanentes. Celles qui sont édifiées en dehors des zones autorisées forment le plus souvent des agrégats autour de localités existantes, mais elles peuvent aussi être isolées, ou construites dans des zones interdites, comme des réserves naturelles, ou dangereuses, comme près d’usines pétrochimiques, de bases militaires, voire sur des terrains qui ont déjà fait l’objet d’une planification, comme par exemple pour le percement de routes ou la construction de villes nouvelles.

Et il ne s’agit pas seulement d’habitations. Les constructions illégales sont aussi des locaux commerciaux, des ateliers, voire des postes à essence. Selon les chiffres du ministère de la Sécurité intérieure, pour les années 2014 et 2015, il a été procédé à un millier de démolitions de constructions illégales. Dans certains cas, pourtant, le tribunal peut faire droit à des requêtes pour le maintien de certains édifices ou pour obliger l’Etat à fournir des infrastructures vitales. En revanche, la politique mise en place depuis les années 80, qui propose aux Bédouins une parcelle gratuite pour la construction partiellement subventionnée d’une habitation en zone autorisée et une indemnisation pour la démolition du logement illégal, n’a que peu de succès.

Pour ajouter encore aux tensions, la tradition bédouine se heurte au droit de l’Etat. Le seul fait de revendiquer la propriété d’un terrain, investit celui qui le réclame du droit de propriété, et l’autorise, même s’il n’y habite pas, à le défendre contre ceux qui l’occuperaient. Or, nombre de terrains qui ont fait l’objet de plans d’aménagement par l’Etat, entrent dans cette catégorie.

Différents facteurs contribuent à faire perdurer le phénomène de la construction illégale. Le calcul économique, pour ceux qui pensent que l’indemnisation pour la démolition de leur habitation illégale, leur permettra d’en financer une autre dans les mêmes conditions, ou parce que la construction en zone illégale évite l’assujettissement aux taxes. Les tensions intérieures sont également un facteur, pour les Bédouins qui résident dans des agglomérations reconnues et qui veulent préserver les surfaces disponibles pour les membres de leur clan et ne veulent pas voir s’y installer des membres d’une autre tribu.

Les tentatives récentes de régulation

Depuis 2007, le dossier est passé sous la responsabilité de la Direction pour le Développement de la communauté bédouine du Néguev, sous tutelle du Ministère de l’Agriculture. Par ailleurs, différentes commissions ont été mandatées par le gouvernement pour proposer des solutions permettant tout à la fois de régulariser les litiges et de poursuivre la modernisation de l’ensemble des localités bédouines du Néguev. Des initiatives qui n’ont abouti que partiellement ou qui ont été freinées par le débat public, voire par des pressions internationales. Ce fut notamment le cas du Plan Prawer, qui avait valu en 2011 à Israël une protestation officielle du Parlement européen et la condamnation d’une agence de l’Onu.

Actuellement, le secteur bédouin fait l’objet d’un plan de développement voté par le gouvernement israélien en 2017 et qui doit durer jusqu’en 2021. Comme les précédents, son application se heurte toujours à la réalité du terrain.

 

 

 

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.