La gauche et le camp de la paix, un mariage d’intérêts

En soutenant le règlement du conflit israélo-palestinien, la gauche sioniste avait trouvé une seconde chance politique. Mais cela n’aura pas suffi à la maintenir à flots.

 

A priori, rien  ne destinait le parti Travailliste à embrasser la cause du règlement du conflit avec les Palestiniens, en tout cas pas sous la forme qui a conduit aux accords d’Oslo. Jusqu’à la fin des années 80, alors pourtant que la droite est au pouvoir depuis près de dix ans – en comptant la rotation de 1986 – l’OLP est toujours considéré comme l’ennemi et tout contact avec ses représentants relève du délit pénal. Mais surtout, les Travaillistes restent le parti qui a accompagné la victoire éclatante de la guerre des Six Jours et qui a sinon encouragé, du moins laissé se développer le peuplement juif en Judée Samarie et dans la Bande de Gaza, notamment par Shimon Peres, alors ministre de la Défense.

Les militants pacifistes restent aux marges et leur discours ne pénètre pas le débat public. En tout cas jusqu’à la 1ère guerre du Liban de 1982. Ce qui avait commencé comme une opération antiterroriste pour repousser l’OLP et les autres groupes terroristes palestiniens au nord du Litani, et mettre les localités frontalières israéliennes hors de portée de leurs bombardements en provenance du sud-Liban, va rapidement se transformer en véritable guerre, qui va entrainer Israël profondément à l’intérieur du Liban et l’enliser dans le conflit civil qui déchire le pays. C’est la première étape qui va faire évoluer l’opinion israélienne qui commence à émettre des doutes sur le bien-fondé de cette guerre, qui n’est plus une guerre de défense, comme l’avaient été tous les conflits précédents. C’est à cette époque que se développent des organisations telles que La Paix Maintenant, qui font campagne contre la guerre du Liban.

Puis, en 1987, c’est l’éruption de la première intifada. Les violences des groupes palestiniens dans les Territoires suscitent un débat à l’intérieur d’Israël sur l’avenir de la Judée Samarie et de Gaza. Pourtant, c’est Itzhak Rabin, qui est alors ministre de la Défense du gouvernement d’union et qui affirme qu’il faut « casser les bras et les jambes des Palestiniens lanceurs de  pierres ». Mais pour le parti Travailliste en perte de vitesse et qui n’arrive plus à faire entendre son message idéologique socialiste, c’est aussi l’occasion d’explorer les moyens de se renouveler. Le plan élaboré par Shimon Peres en 1989 fait long feu, mais la dynamique est enclenchée. Après la 1ère guerre du Golfe de 1991, la Conférence de Madrid pose les premiers jalons d’un processus multilatéral, auquel le Premier ministre Likoud Itzhak Shamir participe sans enthousiasme. Mais en 1992, la pénétration des idées du camp de la paix a suffisamment progressé dans l’opinion, pour que la gauche l’emporte aux législatives sur un programme qui inclue l’idée d’un règlement du conflit.

C’est le ministre des Affaires étrangères Shimon Peres qui a été le cerveau derrière la négociation secrète qui a conduit aux accords d’Oslo et à la reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP en 1993. Le Premier ministre Itzhak Rabin aura quant à lui été mis devant le fait accompli, même s’il a validé a posteriori l’initiative de son ministre. Désormais, la paix est identifiée avec la gauche israélienne. Le « nouveau Proche-Orient » rêvé par Shimon Peres commence à prendre forme, avec le soutien actif des Etats-Unis et des puissances occidentales, qui financent largement la nouvelle autonomie palestinienne, mais aussi toute l’organisation de la paix côté israélien. La gauche israélienne a réussi sa mue et recouvré son prestige perdu. Grâce à elle, Israël est du bon côté de la barrière, alors que le monde entre dans l’ère post-soviétique et que l’Europe s’élargit. Le bipolarisme Est-Ouest a sauté et l’économie libérale qui n’a jamais été aussi dynamique et prometteuse, fait aussi entrer Israël dans une nouvelle phase de développement. La gauche n’a plus besoin de socialisme, puisqu’elle apporte la paix.

Pourtant, l’euphorie ne dure pas. Dès 1994, Israël renoue avec les attentats qui vont aller en s’aggravant. En janvier 1995, un double attentat suicide à la station de bus du carrefour Beit Lid, près de Tel Aviv fait 22 tués, pour la plupart de jeunes appelés de Tsahal qui regagnaient leurs bases. D’autres attaques terroristes palestiniennes suivent et avec elles l’expression « victimes de la paix » fait florès, qu’elle serve de défense ou d’accusation. Le public israélien est de plus en plus divisé. Face au « camp de la paix », se dessine un « camp national » autour du courant sioniste religieux et des partis de droite. L’antagonisme s’exacerbe jusqu’à rendre impossible toute forme de dialogue, au niveau des citoyens comme de leurs représentants politiques. Les manifestations et meetings pour et contre le processus diplomatique se multiplient, jusqu’au point d’orgue du 4 novembre 1995, et du rassemblement pour la paix à l’issue duquel le Premier ministre Itzhak Rabin sera assassiné par Yigal Amir, un étudiant juif d’extrême-droite.

Pour le camp de la paix, cela marquera le point de non-retour et pour les partis de gauche le début de la chute. Au printemps 1996, c’est la première élection de Benyamin Netanyahou. Même la victoire d’Ehud Barak en 1999 ne suffira pas à remettre la paix sur les rails. En juillet 2000, les pourparlers de Camp David où le Premier ministre travailliste négocie avec Yasser Arafat et Bill Clinton, tournent court après le départ du leader palestinien. Et moins de trois mois plus tard, c’est l’éruption de la deuxième intifada et de la vague terroriste la plus sanglante qu’ait connue Israël avec plus d’un millier de victimes en cinq ans.

Les partis de gauche ne parviendront pas à se relever. Pourtant, ils resteront encore durant plus de dix ans centrés sur le règlement du conflit avec les Palestiniens. Même la décision d’Ariel Sharon du retrait unilatéral de la Bande de Gaza en 2005 est en quelque sorte annexée par le camp de la paix, qui veut considérer que l’ancien faucon s’est mué en colombe. Mais cela ne suffit pas à ressusciter l’engouement du début des années 90. Tandis que le parti Travailliste se fait de nouveau dépasser par le courant centriste, le débat sur la paix passe de la classe politique à la société civile, par l’intermédiaire des divers think tanks qui continuent à promouvoir la paix avec les Palestiniens, comme le Centre Shimon Peres pour la Paix, ou différentes ONG soutenues par le New Israel Fund.

Mais entretemps, la gauche aura subi une forme de stigmatisation. Le discours autour du règlement du conflit israélo-palestinien s’est radicalisé et c’est sur la gauche que des voix de droite font porter la responsabilité de la violence terroriste. En 2016, une enquête du Pew Research Center constate que seuls 8% des Israéliens se définissent de gauche. Depuis, d’autres enquêtes font plafonner cette identification à environ 10%. Le reste de l’opinion qui se positionne hors du camp de la droite, préfère l’appellation centriste ou centre-gauche.

Un sondage publié à la mi-mars 2021 par l’organisation Initiative de Genève, constate que parmi les partisans de la solution à deux Etats pour le règlement du conflit avec les Palestiniens, ils sont 53% à voter pour le parti Israel Beitenou d’Avigdor Liberman, 44% à voter pour le parti de droite Nouvel Espoir, plus de 32% à voter pour le Likoud et même 23% à voter pour le parti Yamina de Naftali Bennett. Ce qui indiquerait donc que le modèle porté par la gauche n’a pas disparu, mais qu’il est devenu un paramètre secondaire dans le choix des électeurs. C’est peut-être une bonne nouvelle pour le camp de la paix, mais une confirmation supplémentaire que la gauche israélienne a cessé d’en être le porte-drapeau.

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.